Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/74

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Après l’avoir traversé, j’arrive à la seconde partie du train, où sont entassés les voyageurs de seconde classe, des Kirghizes d’aspect peu intelligent, crâne déprimé, mâchoire de prognathes tendue en avant, petite barbe de bouc, nez épaté de cosaque, peau très brune. Ces pauvres diables, de religion musulmane, appartiennent soit à la Grande-Horde, errant sur la frontière de la Sibérie et de la Chine, soit à la Petite-Horde, répandue entre les monts Ouraliens et la mer d’Aral. Un wagon de seconde classe, fût-ce même un wagon de troisième, c’est un palais pour des gens habitués aux campements de la steppe, aux misérables iourtes des villages. Ni leurs grabats ni leurs escabeaux ne valent les banquettes rembourrées, sur lesquelles ils sont assis avec une gravité tout asiatique.

Là ont également pris place deux ou trois Nogaïs, qui se rendent au Turkestan oriental. D’une race plus relevée que les Kirghizes, de la race tartare, c’est parmi eux que se forment les savants, les professeurs, qui ont illustré les opulentes cités de Boukhara et de Samarkande. Mais la science et son enseignement ont quelque peine à vous assurer l’existence, même réduite au strict nécessaire, en ces provinces de l’Asie centrale. Aussi ces Nogaïs cherchent-ils volontiers à s’utiliser comme interprètes. Par malheur, depuis la diffusion de la langue moscovite, le métier est peu lucratif.

Maintenant, je connais la place de mes numéros et je saurai où les trouver à l’occasion. En ce qui concerne le trajet jusqu’à Pékin, je n’ai de doute ni pour Fulk Ephrinell et miss Horatia Bluett, ni pour le baron allemand, ni pour les deux Chinois, ni pour le major Noltitz, ni pour les époux Caterna, ni même pour le hautain gentleman, dont j’ai aperçu la maigre silhouette au coin du deuxième wagon. Quant à ceux des « travellers », qui ne franchiront pas la frontière, ils sont à mes yeux de la plus parfaite insignifiance. Toutefois, parmi mes compagnons, je n’entrevois pas encore le héros de ma future chronique… Espérons qu’il montera en route.

Mon intention est de prendre des notes heure par heure, que dis-je ? de « minuter » mon voyage. Avant que la nuit se fasse, je viens