Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/116

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veux… aux chevaux, pourrait-on dire, s’il ne s’agissait de mules. Mais, mules ou chevaux, l’attelage détalait avec une rapidité qui laissait peu d’espoir de le rattraper.

Enfin, le cocher, le cicerone, les deux jeunes gens, quelques paysans joints à eux, s’étaient lancés à leur maximum de vitesse.

Cependant Clovis Dardentor, que son sang-froid n’abandonnait jamais en n’importe quelle circonstance, avait saisi les guides d’une main vigoureuse, et, tirant à lui, essayait de maîtriser l’attelage. C’eût été vouloir retenir un projectile à l’instant où il s’échappe de la bouche à feu, et, pour les passants qui l’essayèrent, c’était vouloir arrêter ledit projectile au passage.

Le chemin fut descendu follement, le torrent traversé rageusement. Clovis Dardentor, toujours en possession de lui-même, ayant pu maintenir sa galera en droite ligne, se disait que cet emballement finirait sans doute devant l’enceinte bastionnée, que le véhicule n’en franchirait pas l’une des portes. Quant à lâcher les guides, à sauter hors du véhicule, il savait trop à quoi l’on s’expose, et que mieux vaut rester dans sa machine, dût-elle verser, les quatre roues en l’air, ou se briser contre un obstacle.

Et ces maudites mules irrésistiblement emportées, et d’un train que, de mémoire de Baléarien, on n’avait jamais vu à Majorque ni en aucune des îles de l’archipel !

Après Terreno, la galera suivit la muraille extérieure, se livrant à une série de zigzags des plus regrettables, capricant comme une chèvre, sursautant comme un kangourou, passant devant les portes de l’enceinte jusqu’au moment où elle atteignit la puerta Pintada, à l’angle nord-est de la ville.

Il faut admettre que les deux mules connaissaient particulièrement cette porte, car elles la franchirent sans la moindre hésitation. On peut tenir pour certain qu’elles n’obéissaient alors ni à la voix ni à la main de Clovis Dardentor. C’étaient elles qui dirigeaient la galera, s’excitant de plus belle, au triple galop, sans prendre garde aux passants qui hurlaient, se rejetaient sous les portes, se dispersaient