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table auprès de vous, et, si le dîner est bon, je lui ferai honneur à belles dents ! »

Le docteur Bruno ne se tint pas pour battu, quoiqu’il eût trouvé plus loquace que lui. Il répliqua sans trop chercher à défendre le corps médical contre un adversaire si bien armé. Puis, le potage ayant fait son apparition, chacun ne songea plus qu’à satisfaire un appétit aiguisé par l’air vif de la mer.

Au début, les oscillations du paquebot ne furent point pour gêner les convives, à l’exception de M. Désirandelle, qui était devenu blanc comme sa serviette. On ne sentait ni ces mouvements d’escarpolette qui compromettent l’horizontalité, ni ces élévations et abaissements qui dérangent la verticalité. Si cet état de choses ne se modifiait point durant le repas, les divers services se succéderaient sans dommage jusqu’au dessert.

Mais, soudain, voici que le cliquetis de la vaisselle commença. Les suspensions de la salle à manger se balancèrent sur la tête des convives, à leur grand ennui. Roulis et tangage se combinèrent pour provoquer un désarroi général parmi les passagers, dont les sièges prenaient d’inquiétantes inclinaisons. Plus de sûreté dans le mouvement des bras et des mains. Les verres se portaient difficilement à la bouche, et, le plus souvent, les fourchettes piquaient les joues ou le menton…

La plupart des convives n’y purent résister. M. Désirandelle fut un des premiers à quitter la table avec une précipitation significative. Afin d’aller respirer l’air frais du dehors, nombre d’autres le suivirent, — une vraie débandade, malgré les avis du capitaine Bugarach, qui répétait :

« Cela ne sera rien, messieurs… cette embardée de l’Argèlès ne durera pas !… »

Et Clovis Dardentor de s’écrier :

« Les voilà qui se carapattent à la file indienne !

— C’est toujours comme cela ! repartit le capitaine en clignant de l’œil.