Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des soins pendant six années consécutives, l’élever à la brochette, puis lui attribuer avec son nom tous les droits d’un héritier légitime. Mais quelle chance à courir ! Et, pourtant, s’il ne s’y décidait pas, il en serait réduit aux trois cas prescrits par le code. Il faudrait qu’on le sauvât d’un combat, des flots ou des flammes. Or, y avait-il apparence que l’une de ces circonstances pût se rencontrer avec un homme tel que Clovis Dardentor ?… Il ne le croyait pas, et personne ne l’aurait cru.

Les passagers de la table échangèrent quelques dernières reparties, abondamment arrosées de champagne. La plaisanterie n’épargna guère notre Perpignanais, qui était le premier à en rire. S’il ne voulait pas que sa fortune tombât en déshérence, s’il se refusait à faire de l’État son unique héritier, force lui serait de suivre l’avis de Jean Taconnat, de consacrer son avoir à quelque fondation charitable. Après tout, libre à lui de donner son héritage au premier venu. Mais non !… il tenait à ses idées !… Bref, ce mémorable repas fini, les convives remontèrent sur la dunette.

Il était près de sept heures, car la durée du dîner avait dépassé toute mesure. Belle soirée annonçant une belle nuit. La tente avait été serrée. On respirait l’air pur, fouetté par la brise. La terre, noyée de crépuscule, n’apparaissait plus que comme une estompe confuse à l’horizon de l’ouest.

Clovis Dardentor et ses compagnons, tout en causant, se promenaient de long en large au milieu de la fumée de cigares excellents dont le Perpignanais était largement approvisionné et qu’il offrait avec une libéralité charmante.

Vers neuf heures et demie on se sépara, après avoir pris rendez-vous pour le lendemain.

Clovis Dardentor, lorsqu’il eut aidé M. Désirandelle à regagner la cabine de Mme Désirandelle, se dirigea vers la sienne, où ni les bruits ni les agitations du bord ne devaient troubler son sommeil.

Et alors Jean Taconnat de dire à son cousin :

« J’ai une idée.

— Laquelle ?…