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de la terre à la lune.

comme eux ; je me dirais que rien d’inutile n’existe en ce monde, et, répondant à ta question par une autre question, ami Barbicane, j’affirmerais que si les mondes sont habitables, ou ils sont habités, ou ils l’ont été, ou ils le seront.

— Très-bien ! s’écrièrent les premiers rangs des spectateurs, dont l’opinion avait force de loi pour les derniers.

— On ne peut répondre avec plus de logique et de justesse, dit le président du Gun-Club. La question revient donc à celle-ci : — Les mondes sont-ils habitables ? — Je le crois, pour ma part.

— Et moi, j’en suis certain, répondit Michel Ardan.

— Cependant, répliqua l’un des assistants, il y a des arguments contre l’habitabilité des mondes. Il faudrait évidemment dans la plupart que les principes de la vie fussent modifiés. Ainsi, pour ne parler que des planètes, on doit être brûlé dans les unes et gelé dans les autres, suivant qu’elles sont plus ou moins éloignées du Soleil.

— Je regrette, répondit Michel Ardan, de ne pas connaître personnellement mon honorable contradicteur, car j’essaierais de lui répondre. Son objection a sa valeur, mais je crois qu’on peut la combattre avec quelque succès, ainsi que toutes celles dont l’habitabilité des mondes a été l’objet. Si j’étais physicien, je dirais que, s’il y a moins de calorique mis en mouvement dans les planètes voisines du Soleil, et plus, au contraire, dans les planètes éloignées, ce simple phénomène suffit pour équilibrer la chaleur et rendre la température de ces mondes supportable à des êtres organisés comme nous le sommes. Si j’étais naturaliste, je lui dirais, après beaucoup de savants illustres, que la nature nous fournit sur la terre des exemples d’animaux vivant dans des conditions bien diverses d’habitabilité ; que les poissons respirent dans un milieu mortel aux autres animaux ; que les amphibies ont une double existence assez difficile à expliquer ; que certains habitants des mers se maintiennent dans les couches d’une grande profondeur et y supportent sans être écrasés des pressions de cinquante ou soixante atmosphères ; que divers insectes aquatiques, insensibles à la température, se rencontrent à la fois dans les sources d’eau bouillante et dans les plaines glacées de l’océan Polaire ; enfin, qu’il faut reconnaître à la nature une diversité dans ses moyens d’action souvent incompréhensible, mais non moins réelle, et qui va jusqu’à la toute-puissance. Si j’étais chimiste, je lui dirais que les aérolithes, ces corps évidemment formés en dehors du monde terrestre, ont révélé à l’analyse des traces indiscutables de carbone ; que cette substance ne doit son origine qu’à des êtres organisés, et que, d’après les expériences de Reichenbach, elle a dû être nécessairement « animalisée ». Enfin, si j’étais théologien, je lui dirais que la