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attaque et riposte.

Voilà ce qu’ont répondu les savants à l’énoncé de ces faits, et ce que je réponds avec eux.

— Passons encore, répondit Ardan, sans être troublé de la riposte. Herschel, en 1787, n’a-t-il pas observé un grand nombre de points lumineux à la surface de la Lune ?

— Sans doute ; mais sans s’expliquer sur l’origine de ces points lumineux, Herschel lui-même n’a pas conclu de leur apparition à la nécessité d’une atmosphère lunaire.

— Bien répondu, dit Michel Ardan en complimentant son adversaire ; je vois que vous êtes très-fort en sélénographie.

— Très-fort, monsieur, et j’ajouterai que les plus habiles observateurs, ceux qui ont le mieux étudié l’astre des nuits, MM. Beer et Mœdler, sont d’accord sur le défaut absolu d’air à sa surface. »

Un mouvement se fit dans l’assistance, qui parut s’émouvoir des arguments de ce singulier personnage.

« Passons toujours, répondit Michel Ardan avec le plus grand calme, et arrivons maintenant à un fait important. Un habile astronome français, M. Laussedat, en observant l’éclipse du 18 juillet 1860, constata que les cornes du croissant solaire étaient arrondies et tronquées. Or, ce phénomène n’a pu être produit que par une déviation des rayons du soleil à travers l’atmosphère de la Lune, et il n’a pas d’autre explication possible.

— Mais le fait est-il certain ? demanda vivement l’inconnu.

— Absolument certain ! »

Un mouvement inverse ramena l’assemblée vers son héros favori, dont l’adversaire resta silencieux. Ardan reprit la parole, et sans tirer vanité de son dernier avantage, il dit simplement : « Vous voyez donc bien, mon cher monsieur, qu’il ne faut pas se prononcer d’une façon absolue contre l’existence d’une atmosphère à la surface de la Lune ; cette atmosphère est probablement peu dense, assez subtile, mais aujourd’hui la science admet généralement qu’elle existe.

— Pas sur les montagnes, ne vous en déplaise, riposta l’inconnu, qui n’en voulait pas démordre.

— Non, mais au fond des vallées, et ne dépassant pas en hauteur quelques centaines de pieds.

— En tout cas, vous feriez bien de prendre vos précautions, car cet air sera terriblement raréfié.

— Oh ! mon brave monsieur, il y en aura toujours assez pour un homme seul ; d’ailleurs, une fois rendu là-haut, je tâcherai de l’économiser de mon mieux et de ne respirer que dans les grandes occasions ! »

Un formidable éclat de rire vint tonner aux oreilles du mystérieux