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floride et texas.

ment sur le vingt-huitième degré de latitude, et par laquelle les navires arrivent directement à Tampa-Town ?

— Jolie baie ! répondait le Texas, elle est à demi ensablée !

— Ensablés vous-mêmes ! s’écriait la Floride. Ne dirait-on pas que je suis un pays de sauvages ?

— Ma foi, les Séminoles courent encore vos prairies !

— Eh bien ! et vos Apaches et vos Comanches sont-ils donc civilisés ! »

La guerre se soutenait ainsi depuis quelques jours, quand la Floride essaya d’entraîner son adversaire sur un autre terrain, et un matin le Times insinua que, l’entreprise étant « essentiellement américaine », elle ne pouvait être tentée que sur un territoire « essentiellement américain » !

À ces mots le Texas bondit : « Américains ! s’écria-t-il, ne le sommes-nous pas autant que vous ? Le Texas et la Floride n’ont-ils pas été incorporés tous les deux à l’Union en 1845 ?

— Sans doute, répondit le Times, mais nous appartenons aux Américains depuis 1820.

— Je le crois bien, répliqua la Tribune ; après avoir été Espagnols ou Anglais pendant deux cents ans, on vous a vendus aux États-Unis pour cinq millions de dollars !

— Et qu’importe ! répliquèrent les Floridiens, devons-nous en rougir ? En 1803, n’a-t-on pas acheté la Louisiane à Napoléon au prix de seize millions de dollars[1] ?

— C’est une honte ! s’écrièrent alors les députés du Texas. Un misérable morceau de terre comme la Floride, oser se comparer au Texas, qui, au lieu de se vendre, s’est fait indépendant lui-même, qui a chassé les Mexicains le 2 mars 1836, qui s’est déclaré république fédérative après la victoire remportée par Samuel Houston aux bords du San-Jacinto sur les troupes de Santa-Anna ! Un pays enfin qui s’est adjoint volontairement aux États-Unis d’Amérique !

— Parce qu’il avait peur des Mexicains ! » répondit la Floride.

Peur ! Du jour où ce mot, vraiment trop vif, fut prononcé, la position devint intolérable. On s’attendit à un égorgement des deux partis dans les rues de Baltimore. On fut obligé de garder les députés à vue.

Le président Barbicane ne savait où donner de la tête. Les notes, les documents, les lettres grosses de menaces pleuvaient dans sa maison. Quel parti devait-il prendre ? Au point de vue de l’appropriation du sol, de la

  1. Quatre-vingt-deux millions de francs.