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LA DESTINÉE DE JEAN MORÉNAS.

Or, sauver le coupable était peu de chose, si le bonheur de Marguerite n’était pas sauvé en même temps. Pour cela, il fallait qu’elle pût continuer à aimer celui à qui elle s’était donnée, il fallait qu’elle ignorât, qu’elle ignorât toujours… Qui sait ? Peut-être était-il trop tard… Peut-être le soupçon naissait-il déjà derrière ce front que pâlissait une mystérieuse épouvante…

Jean sortit brusquement de la pénombre projetée par le manteau de la cheminée et s’avança dans la lumière de la salle. Tous le reconnurent aussitôt : Pierre et Marguerite, qui fixèrent sur lui des yeux dilatés par l’étonnement, et les cinq paysans dont les visages eurent une expression complexe faite à la fois de la sympathie subsistant du passé et de l’horreur invincible qu’inspire nécessairement un forçat.

« Ne cherchez pas, dit Jean. C’est moi qui ai fait le coup. »

Personne ne dit mot. Non qu’on ne le crût pas. L’aveu était plausible, au contraire, car qui a tué peut tuer encore. Mais il était si inattendu que la surprise paralysait les poitrines.

Cependant, la scène avait changé dans ses détails. Pierre, maintenant, se montrait tout entier hors de la porte et, sans que personne fit attention à lui, se rapprochait de Marguerite qui ne semblait pas s’apercevoir de sa présence. Celle-ci s’était redressée, le visage illuminé de bonheur