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HIER ET DEMAIN.

cions à nous habituer à notre épouvante. À mesure que nous avancions, nous pointions notre route sur les cartes, et nous disions : « Ici, c’était Moscou… Varsovie… Berlin… Vienne… Rome… Tunis… Tombouctou… Saint-Louis… Oran… Madrid… », mais avec une indifférence croissante, et, l’accoutumance aidant, nous en arrivions à prononcer sans émotions ces paroles, en réalité si tragiques.

Pourtant, moi, tout au moins, je n’avais pas épuisé ma capacité de souffrance. Je m’en aperçus, le jour — c’était à peu près le 11 décembre — où le capitaine Morris me dit : « Ici, c’était Paris… » À ces mots, je crus qu’on m’arrachait l’âme. Que l’univers entier fût englouti, soit ! Mais la France — ma France ! — et Paris, qui la symbolisait !…

À mes côtés, j’entendis comme un sanglot. Je me retournai : c’était Simonat qui pleurait.

Pendant quatre jours encore, nous poursuivîmes notre route vers le Nord, puis, arrivés à la hauteur d’Édimbourg, on redescendit vers le Sud-Ouest, en quête de l’Irlande, puis la route fut donnée à l’Est… En réalité, nous errions au hasard, car il n’y avait pas plus de raison d’aller dans une direction que dans une autre…

On passa au-dessus de Londres, dont la tombe liquide fut saluée de tout l’équipage. Cinq jours après, nous étions ci la hauteur de Dantzig, quand le capitaine Morris fit virer