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HIER ET DEMAIN.

savait à l’école, pas même M. Valrügis. On croyait que c’était du latin, mais ce n’était pas sûr. Et, cependant, il paraît que ce psaume sera chanté au jugement dernier, et il est probable que le Saint-Esprit, qui parle toutes les langues, le traduira en langage édénique.

Il n’en reste pas moins que M. Eglisak passait pour être un grand compositeur. Par malheur, il était affligé d’une infirmité bien regrettable, et qui tendait à s’accroître. Avec l’âge, son oreille se faisait dure. Nous nous en apercevions, mais lui n’aurait pas voulu en convenir. D’ailleurs, afin de ne pas le chagriner, on criait quand on lui adressait la parole, et nos faussets parvenaient à faire vibrer son tympan. Mais l’heure n’était pas éloignée où il serait complètement sourd.

Cela arriva, un dimanche, à vêpres. Le dernier psaume des Complies venait d’être achevé, et Eglisak s’abandonnait sur l’orgue aux caprices de son imagination. Il jouait, il jouait, et cela n’en finissait pas. On n’osait pas sortir, crainte de lui faire de la peine. Mais voici que le souffleur, n’en pouvant plus, s’arrête. La respiration manque à l’orgue… Eglisak ne s’en est pas aperçu. Les accords, les arpèges se plaquent ou se déroulent sous ses doigts. Pas un son ne s’échappe, et cependant, dans son âme d’artiste, il s’entend toujours… On a compris : un malheur vient de le frapper. Nul