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KÉRABAN-LE-TÊTU.

De là, quel émouvant spectacle ! Une mer démontée se brisant en lames monstrueuses contre les roches, des embruns s’éparpillant comme une averse en passant par-dessus la lanterne du phare, des montagnes d’eau se heurtant au large, et dont les arêtes trouvaient encore assez de lumière diffuse dans l’atmosphère pour se dessiner en crêtes blanchâtres, un ciel noir, chargé de nuages bas, chassant avec une incomparable vitesse et découvrant parfois, dans leurs intervalles, d’autres amas de vapeurs plus élevés, plus denses, d’où s’échappaient quelques-uns de ces longs éclairs livides, illuminations silencieuses et blafardes, reflets, sans doute, de quelque orage encore lointain.

Ahmet et le gardien s’étaient accrochés à l’appui de la galerie supérieure. Placés à droite et à gauche de la plate-forme, ils regardaient, cherchant soit le point mobile déjà entrevu, soit la lueur d’un coup de canon qui en eût marqué la place.

D’ailleurs, ils ne parlaient point, ils n’auraient pu s’entendre, mais sous leurs yeux se développait un assez large secteur de vue. La lumière de la lanterne, emprisonnée dans le réflecteur qui lui faisait écran, ne pouvait les éblouir, et en avant d’eux,