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l’île à hélice.

« Vous me baiserez les mains ! » avait dit le surintendant dès leur première entrevue.

Et, s’ils ne l’avaient pas fait, s’ils ne le firent pas, c’est qu’il ne faut jamais baiser une main masculine.

Un jour, Athanase Dorémus, le plus fortuné des mortels s’il en fut, leur dit :

« Voilà près de deux ans que je suis à Standard-Island, et je regretterais qu’il n’y en eût pas soixante, si l’on m’assurait que dans soixante ans j’y serai encore…

— Vous n’êtes pas dégoûté, répond Pinchinat, avec vos prétentions à devenir centenaire !

— Eh ! monsieur Pinchinat, soyez sûr que j’atteindrai la centaine ! Pourquoi voulez-vous que l’on meure à Standard-Island ?…

— Parce que l’on meurt partout…

— Pas ici, monsieur, pas plus qu’on ne meurt dans le paradis céleste ! »

Que répondre à cela ? Cependant il y avait bien, de temps à autre, quelques gens malavisés qui passaient de vie à trépas, même sur cette île enchantée. Et alors les steamers emportaient leurs dépouilles jusqu’aux cimetières lointains de Madeleine-bay. Décidément, il est écrit qu’on ne saurait être complètement heureux en ce bas monde.

Pourtant il existe toujours quelques points noirs à l’horizon. Il faut même le reconnaître, ces points noirs prennent peu à peu la forme de nuages fortement électrisés, qui pourront avant longtemps provoquer orages, rafales et bourrasques. Inquiétante, cette regrettable rivalité des Tankerdon et des Coverley, — rivalité qui approche de l’état aigu. Leurs partisans font cause commune avec eux. Est-ce que les deux sections seront un jour aux prises ? Est-ce que Milliard-City est menacée de troubles, d’émeutes, de révolutions ? Est-ce que l’administration aura le bras assez énergique, et le gouverneur Cyrus Bikerstaff la main assez ferme, pour maintenir la paix entre ces Capulets et ces Montaigus d’une île à hélice ?… On ne sait trop.