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l’île à hélice.

Après Haydn, Weber, Mendelssohn, Beethoven, c’est de Mozart que Sa Majesté parle avec une entraînante éloquence.

« Ah ! messieurs, dit-il, laissez déborder mon ravissement ! Il y a si longtemps que mon âme est empêchée de se livrer ainsi ! N’êtes-vous pas les premiers artistes dont j’aurai pu être compris depuis mon arrivée à Standard-Island ? Mozart !… Mozart !… L’un de vos compositeurs dramatiques, le plus grand, à mon avis, de la fin du dix-neuvième siècle, lui a consacré d’admirables pages ! Je les ai lues, et rien ne les effacera jamais de mon souvenir ! Il a dit quelle aisance apporte Mozart en faisant à chaque mot sa part spéciale de justesse et d’intonation, sans troubler l’allure et le caractère de la phrase musicale… Il a dit qu’à la vérité pathétique il joignait la perfection de la beauté plastique… Mozart n’est-il pas le seul qui ait deviné, avec une sûreté aussi constante, aussi complète la forme musicale de tous les sentiments, de toutes leurs nuances de passion et de caractère, c’est-à-dire de tout ce qui est le drame humain ?… Mozart, ce n’est pas un roi, — qu’est-ce qu’un roi maintenant ? ajoute Sa Majesté en secouant la tête, — je dirai qu’il est un dieu, puisqu’on tolère que Dieu existe encore !… C’est le dieu de la Musique ! »

Ce qu’on ne peut rendre, ce qui est inexprimable, c’est l’ardeur avec laquelle Sa Majesté manifeste son admiration. Et, lorsque la reine et lui sont rentrés dans le salon, lorsque les artistes l’y ont suivi, il prend une brochure déposée sur la table. Cette brochure, qu’il a dû lire et relire, porte ce titre : Don Juan de Mozart. Alors il l’ouvre, il en lit ces quelques lignes, tombées de la plume du maître qui a le mieux pénétré et le mieux aimé Mozart, l’illustre Gounod : « Ô Mozart ! divin Mozart ! qu’il faut peu te comprendre pour ne pas t’adorer ! Toi, la vérité constante ! Toi, la beauté parfaite ! Toi, le charme inépuisable ! Toi, toujours profond et toujours limpide ! Toi, l’humanité complète et la simplicité de l’enfant ! Toi, qui as tout ressenti, tout exprimé dans une phrase musicale qu’on n’a jamais surpassée et qu’on ne surpassera jamais ! »

Alors Sébastien Zorn et ses camarades prennent leurs instruments