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l’île à hélice.

puisqu’il n’a pas de siège à sa disposition, l’archet à la main, il est prêt à extraire toutes les voix emmagasinées dans cette carcasse sonore.

Presque aussitôt, ses camarades sont prêts à le suivre jusqu’aux dernières limites de l’art.

« Le quatuor en si bémol d’Onslow, dit-il. Allons… Une mesure pour rien ! »

Ce quatuor d’Onslow, ils le savaient par cœur, et de bons instrumentistes n’ont certes pas besoin d’y voir clair pour promener leurs doigts habiles sur la touche d’un violoncelle, de deux violons et d’un alto.

Les voici donc qui s’abandonnent à leur inspiration. Jamais peut-être ils n’ont joué avec plus de talent et plus d’âme dans les casinos et sur les théâtres de la Confédération américaine. L’espace s’emplit d’une sublime harmonie, et, à moins d’être sourds, comment des êtres humains pourraient-ils résister ? Eût-on été dans un cimetière, ainsi que l’a prétendu Yvernès, que, sous le charme de cette musique, les tombes se fussent entr’ouvertes, les morts se seraient redressés, les squelettes auraient battu des mains…

Et cependant les maisons restent closes, les dormeurs ne s’éveillent pas. Le morceau s’achève dans les éclats de son puissant final, sans que Freschal ait donné signe d’existence.

« Ah ! c’est comme cela ! s’écrie Sébastien Zorn, au comble de la fureur. Il faut un charivari, comme à leurs ours, pour leurs oreilles de sauvages ?… Soit ! recommençons, mais toi, Yvernès, joue en , toi, Frascolin, en mi, toi, Pinchinat, en sol. Moi, je reste en si bémol, et, maintenant, à tour de bras ! »

Quelle cacophonie ! Quel déchirement des tympans ! Voilà qui rappelle bien cet orchestre improvisé, dirigé par le prince de Joinville, dans un village inconnu d’une région brésilienne ! C’est à croire que l’on exécute sur des « vinaigrius » quelque horrible symphonie, — du Wagner joué à rebours !…

En somme, l’idée de Pinchinat est excellente. Ce qu’une admi-