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l’île à hélice.

Ces Parisiens ont-ils, au moins, le privilège d’attirer l’attention publique ?… Oui et non. On les regarde, mais sans y mettre trop d’insistance, — peut-être comme s’ils étaient de ces rares touristes qui visitent parfois Milliard-City. Eux, sous l’empire de circonstances assez extraordinaires, ne se sentent pas très à l’aise, et se figurent qu’on les dévisage plus qu’on ne le fait réellement. D’autre part, qu’on ne s’étonne pas s’ils leur paraissent être d’une nature bizarre, ces mouvants insulaires, ces gens volontairement séparés de leurs semblables, errant à la surface du plus grand des océans de notre sphéroïde. Avec un peu d’imagination, on pourrait croire qu’ils appartiennent à une autre planète du système solaire. C’est l’avis d’Yvernès, que son esprit surexcité entraîne vers les mondes imaginaires. Quant à Pinchinat, il se contente de dire :

« Tous ces passants ont l’air très millionnaire, ma foi, et me font l’effet d’avoir une petite hélice au bas des reins comme leur île. »

Cependant la faim s’accentue. Le déjeuner est loin déjà, et l’estomac réclame son dû quotidien. Il s’agit donc de regagner au plus vite Excelsior-Hotel. Dès le lendemain, on commencera les démarches convenues, tendant à se faire reconduire à San-Diégo par un des steamers de Standard-Island, après paiement d’une indemnité dont Calistus Munbar devra supporter la charge, comme de juste.

Mais voici qu’en suivant la Unième Avenue, Frascolin s’arrête devant un somptueux édifice, au fronton duquel s’étale en lettres d’or cette inscription : Casino. À droite de la superbe arcade qui surmonte la porte principale, une restauration laisse apercevoir, à travers ses glaces enjolivées d’arabesques, une série de tables dont quelques-unes sont occupées par des dîneurs, et autour desquels circule un nombreux personnel.

« Ici l’on mange !… » dit le deuxième violon, en consultant du regard ses camarades affamés.

Ce qui lui vaut cette laconique réponse de Pinchinat :

« Entrons ! »