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Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/102

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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

« Monsieur, dit-il ex abrupto, il m’arrive une chose singulière. L’opticien chez lequel vous m’avez conduit ce matin refuse absolument, je ne puis savoir pourquoi, de faire la réparation convenue. Comme il m’est impossible de comprendre un mot de son damné charabia, vous m’obligeriez, en venant avec moi lui demander une explication.

— À vos ordres, » répondit Robert.

Entré dans le magasin du commerçant récalcitrant, Robert entama une discussion longue et bruyante, drôle aussi probablement, car il refrénait visiblement une violente envie de rire. Lorsque toutes les répliques eurent été échangées, il se retourna vers le baronnet :

« Le señor Luiz Monteiro, opticien, que voilà, dit-il, a refusé et refuse de travailler à votre service, parce que…

— Parce que ?…

— Tout simplement parce que vous avez omis de le saluer cette après-midi.

— Hein ?… fit Hamilton estomaqué.

— C’est comme ça ! Quand nous sommes passés, après le déjeuner, le señor Luiz Monteiro était sur sa porte. Il vous a vu, et, de votre côté, vous l’avez reconnu, il le sait. Vous n’avez pas daigné cependant esquisser le moindre salut. Tel est votre crime à ses yeux.

— Qu’il aille au diable ! » s’écria Hamilton courroucé.

C’est à peine s’il écouta Robert, qui lui expliquait l’invraisemblable rigueur du cérémonial aux Açores. Là, tout se fait suivant un inflexible protocole. Veut-on visiter un de ses amis, on a soin de solliciter préalablement son agrément. Si le médecin consent à vous soigner, le cordonnier à vous chausser, le boulanger à vous nourrir, c’est à la condition sine qua non que vous les saluerez fort poliment à chaque rencontre, et que vous les honorerez par d’affectueux présents à des époques fixées une fois pour toutes et variant avec les professions.

Tout ceci pénétrait difficilement dans le concept du baronnet.