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Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/109

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LE CIEL SE COUVRE.

d’un long aiguillon avec lequel il le dirige, l’ânier marche à côté de l’animal. Maître Aliboron va-t-il trop vite, ou descend-il une pente un peu raide, l’ânier le retient tout simplement par la queue.

« Affaire de latitude ! dit Roger en riant. Chez nous, le mors n’est pas du même côté, voilà tout ! »

Quand tout le monde fut prêt, Thompson s’aperçut que trois ânes demeuraient sans propriétaires. L’énergique trembleur Johnson était, selon sa promesse, parmi les absents. Quant aux deux autres, ils n’étaient et ne pouvaient être que le jeune ménage devenu invisible depuis la veille.

À huit heures et demie, la cavalcade — analcade serait plus exact — se mit en mouvement. En tête, « analcadait » Thompson, flanqué de son lieutenant Robert, et, derrière eux, le régiment suivait deux par deux.

En remontant la rue principale de Horta, cette troupe de soixante-deux cavaliers, escortée par soixante-deux piétons, fit nécessairement révolution. Tous ceux qui ne s’étaient pas oubliés dans la douceur matinale des draps parurent aux portes et aux fenêtres. De ceux-là, fut le cérémonieux Luiz Monteiro. Drapé noblement dans un vaste manteau, accoudé dans une pose pleine de dignité contre le chambranle de sa porte, il regarda défiler la longue théorie des touristes, sans qu’aucun mouvement trahît les agitations possibles de son âme. À un certain moment pourtant, cette statue de la politesse parut s’animer, son regard brilla : sir Hamilton passait.

Bien que privé du secours de son lorgnon, le baronnet eut néanmoins le bonheur de reconnaître son inflexible professeur de civilité et, la mort dans l’âme, il dessina un superbe salut. Ce salut, le fier Luiz Monteiro le rendit en se courbant jusqu’à terre, et rentra immédiatement dans sa boutique. Sans doute, apaisé, allait-il procéder à la réparation promise !

On arriva bientôt à l’endroit où la rue principale se divise en deux branches. La tête de la colonne s’engageait dans celle de droite, quand un cri s’éleva, suivi de piétinements et d’exclama-