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LA SOLUTION D’UN ANAGRAMME.

d’être reçu chez madame votre mère. Nous sommes même vaguement cousins, je crois.

— Tout cela est exact, reconnut Robert. Je m’en suis souvenu dès que j’ai entendu prononcer votre nom.

— Et vous avez persisté dans votre incognito ! se récria Roger.

— À quoi bon le rompre ? dit Robert. Mais ce sont les circonstances que vous rappelez qui m’ont poussé à répondre à vos questions.

Un instant, les deux compatriotes se promenèrent en silence.

— Et votre emploi d’interprète ? demanda brusquement Roger.

— Eh bien ? dit Robert.

— Voulez-vous le quitter ? Je suis, cela va sans dire, à votre entière disposition.

— Et comment vous rembourserais-je ? Non, non, mon cher monsieur. Je suis touché de vos offres plus que je ne saurais dire, mais je ne puis les accepter. Si je me suis réduit à cet état de misère, si j’ai quitté amis et pays, c’est précisément pour ne rien devoir à personne. Et, en cela, je m’entêterai.

— Au reste, vous avez raison, » dit Roger d’un air songeur.

Longtemps encore, les deux compatriotes se promenèrent bras dessus bras dessous, et peu à peu Roger à son tour s’aventura sur la pente des confidences.

Ce n’est pas en vain que deux jeunes hommes se livrent ainsi l’un à l’autre. En se quittant, les deux compagnons de route avaient vu tomber les barrières qui les séparaient. Le Seamew désormais transportait au moins deux amis.

Robert reçut la bienfaisante impression de ce changement imprévu. Elle avait pris fin, cette solitude morale, dans laquelle il se morfondait depuis plus de six mois. Interprète pour tous, de quel secours ne lui serait pas la conscience d’avoir aux yeux d’un seul reconquis sa dignité tout entière.

C’est livré à ces agréables pensées qu’il alluma sa bougie et se plongea dans l’étude de Madère, et de Funchal en particulier. Les