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Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/238

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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

Mrs. Lindsay fut contrainte de renfermer son mécontentement en elle-même, et son humeur ordinairement sereine s’en trouva assombrie. Quand les passagers du Seamew, sauf ceux qui devaient participer à l’excursion du lendemain, furent retournés à bord, elle ne put s’empêcher de reprocher à Roger d’avoir ainsi publié leurs projets. Roger s’excusa de son mieux. Il avait pensé qu’un interprète serait utile dans l’intérieur. En outre, ajouta-t-il sans rire, M. Morgand, grâce à sa connaissance du pays, pourrait leur servir de guide.

« Vous avez peut-être raison, répondit Alice sans désarmer, cependant je suis un peu fâchée, je dois vous le dire, que vous l’ayez joint à notre petite troupe.

— Et pourquoi donc ? demanda Roger sincèrement étonné.

— Parce que, répliqua Alice, une semblable excursion donnera forcément à nos relations un certain caractère d’intimité. Cela, pour deux femmes, est délicat, quanti il s’agit d’une personne comme M. Morgand. Je vous accorde que les apparences sont des plus engageantes. Mais enfin, voilà un homme remplissant un emploi en somme subalterne, on ne sait d’où il vient, il n’offre aucune surface, n’a parmi nous aucun répondant…

Roger écoutait avec surprise cet exposé de principes si insolite dans la bouche d’une citoyenne de la libre Amérique. Mrs. Lindsay l’avait jusque-là accoutumé à moins de timidité. Il constatait, non sans en éprouver un mystérieux plaisir, l’attention singulière qu’une femme, placée si fort au-dessus d’un interprète par la fortune, daignait accorder à cet humble fonctionnaire de l’Agence Thompson. Eh quoi ! elle parlait d’avoir avec lui « des rapports » intimes ou non ! Elle s’inquiétait de ses origines, regrettait qu’il n’eût pas de répondant !…

— Pardon ! interrompit-il. Il en a.

— Qui donc ?

— Moi. Je le cautionne formellement auprès de vous, » dit sérieusement Roger, qui, avec un aimable salut, s’empressa de prendre congé.