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LE CURRAL DAS FREIAS.

les touristes préférèrent s’installer en plein air, à une place que les porteurs débarrassèrent de ses ronces et de ses pierres, ainsi que des détritus de toute espèce que la saleté madérienne y avait accumulés. Les provisions furent sorties des sacs. Une nappe blanche recouvrit le sol. La table, en somme, devint engageante.

Pendant qu’on la disposait sous la surveillance de Robert, les touristes, jetant en passant un coup d’œil au panorama splendide, allèrent admirer les deux châtaigniers qui s’élèvent près de la quinta, et dont le plus gros, véritable curiosité de l’île, mesure plus de onze mètres de circonférence.

Mais leur appétit, aiguisé par cette rude ascension, les ramena bientôt vers leur table improvisée. Surprise désagréable, un cercle de chèvres et d’enfants déguenillés l’entourait. Par des menaces et des aumônes, on éloigna à grand’peine cette horde. L’estomac le moins délicat n’y aurait pas résisté.

Les voyageurs étaient à peine au milieu de leur repas, quand leur attention fut attirée par un singulier personnage qui venait d’apparaître dans le cadre de la porte de la quinta en ruines. Sale, vêtu de loques misérables, son visage au teint de brique auréolé d’une barbe hirsute et d’une folle crinière de cheveux qui, propres, eussent été blancs, ce personnage, appuyé contre un des montants, considérait la troupe affamée. Enfin, il prit son parti et, d’un pas nonchalant, s’avança vers les touristes.

« Soyez les bienvenus chez moi, dit-il en soulevant les restes d’un vaste sombrero, dont il ne subsistait guère que les bords.

— Chez vous ? répéta Robert, qui se leva et rendit son salut au courtois propriétaire.

— Oui, chez moi, à la quinta de Campanario.

— En ce cas, senhor, excusez des touristes étrangers du sans-gêne avec lequel ils ont envahi votre domaine.

— Excuses inutiles, protesta le Madérien dans un anglais assez passable. Trop heureux de vous offrir l’hospitalité.

Robert et ses compagnons le considéraient avec surprise.