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Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/305

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OÙ LE SEAMEW S’ARRÊTE TOUT À FAIT.

tement à l’aise. Toutefois, personne n’avait encore osé formuler de réclamation, lorsque Saunders, selon son usage, mit carrément les pieds dans le plat.

« Steward ! appela-t-il de sa voix grinçante.

— Sir ? répondit Mr. Roastbeaf en accourant.

— Steward, je reprendrai de cet exécrable poulet. Tout bien pesé, mieux vaut mourir par le poison que par la faim.

Mr. Roastbeaf ne parut pas goûter tout le sel de cette excellente plaisanterie.

— Il n’y en a plus, monsieur, répondit-il simplement.

— Tant mieux ! s’écria Saunders. Dans ce cas, donnez-moi autre chose. Ça ne pourra pas être plus mauvais.

— Autre chose, monsieur ! se récria Roastbeaf. Monsieur ignore qu’il n’y a plus à bord de quoi remplir une dent creuse. Messieurs les passagers n’ont même pas laissé le dîner de l’office !

Avec quelle amertume Roastbeaf avait prononcé ces mots !

— Ah çà ! monsieur Roastbeaf, vous moqueriez-vous de moi, par hasard ? demanda Saunders d’une voix orageuse.

— Moi, monsieur ! implora Roastbeaf.

— Alors, que signifie cette plaisanterie ? Sommes-nous ici sur le radeau de la Méduse ?

Roastbeaf ouvrit les bras en signe d’ignorance. Et son geste déclinait toute responsabilité, la rejetait tout entière sur Thompson, qui se curait les dents d’un air détaché. Saunders, outré de cette attitude, frappa sur la table dont les verres sautèrent.

— C’est à vous que je parle, monsieur ! s’écria-t-il d’un ton courroucé.

— À moi, monsieur Saunders ! répondit Thompson jouant la naïveté.

— Oui, à vous. Avez-vous juré de nous faire mourir de faim ? Il est vrai que ce serait le seul moyen d’étouffer nos plaintes.

Thompson ouvrit des yeux étonnés.

— Voilà trois jours, continua Saunders avec colère, que la