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OÙ THOMPSON SE TRANSFORME EN AMIRAL.

capitaine de ne pas insister, on était en détresse sur la côte sud-est de l’Île du Sel, presque à l’extrémité de la Pointe du Naufrage. L’Île du Sel n’offrant aucune ressource, il s’agissait d’aviser le plus tôt possible aux moyens de la quitter.

Pour le moment, le capitaine avait paré au plus pressé. Selon ses instructions, M. Morgand, accompagné du maître d’équipage, était parti depuis une heure déjà pour le phare élevé à l’extrémité de la Pointe du Sud, à peu de distance du théâtre de la catastrophe. Là, les deux envoyés se documenteraient et chercheraient à se procurer des vivres. Il n’y avait qu’à attendre leur retour.

La communication du capitaine fit souvenir ses auditeurs qu’ils mouraient de faim. Dans le désordre moral où l’aventure les avait jetés, ils l’oubliaient un peu. Un mot suffit pour réveiller un appétit que depuis cinquante heures rien n’était venu calmer.

Il fallait bien cependant prendre son mal en patience, puisqu’il n’existait aucun moyen de l’abréger. Les touristes se résignèrent donc à faire les cent pas sur la grève, et lentement les heures coulèrent. Par bonheur, le temps se maintenait au beau. Le ciel restait pur sous l’influence d’une fraîche brise du Nord-Ouest qui s’affermit d’heure en heure.

Ce fut seulement vers huit heures que Robert et le maître revinrent de leur expédition, escortant une charrette traînée par une mule et conduite par un cocher nègre. Le chargement de cette charrette, composé de victuailles les plus diverses, monopolisa à l’instant l’attention générale.

On se bouscula, et Thompson dut intervenir pour que la distribution des vivres se fit en bon ordre. Enfin, chacun emporta sa part, et ce fut pendant longtemps un parfait silence que troublait seul le bruit des mâchoires.

Piperboom était particulièrement superbe. Un pain de quatre livres dans une main, tout un gigot de mouton dans l’autre, il élevait et abaissait ses avant-bras avec la régularité d’une machine à vapeur. Malgré leur fringale personnelle, les compa-