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OÙ L’ON NE FAIT QUE CHANGER DE GEÔLIERS.

Le capitaine Pip prit lui-même la garde à neuf heures en compagnie du fidèle Artimon. Une heure après, il était remplacé par le second, que le maître, une heure plus tard, remplacerait à son tour.

Avant de se retirer à l’abri du rempart des caisses, le capitaine jeta autour de lui un dernier regard. Rien n’apparaissait d’insolite. Le désert était paisible et silencieux, et Artimon ne manifestait au surplus aucune inquiétude.

Après avoir recommandé à son remplaçant une garde vigilante, le capitaine rentra sous la tente où reposaient déjà un grand nombre des passagers, et, dompté par la fatigue, s’endormit aussitôt.

Depuis combien de temps dormait-il ainsi, quand un rêve vint troubler son sommeil ?

Dans ce rêve, il voyait, sans en comprendre la cause, Artimon s’agiter d’une manière singulière. Le chien, après avoir vainement essayé de réveiller son maître, allait, en grondant sourdement, glisser son museau hors de la tente, puis revenait tirer le capitaine par un pan de son habit. Mais le capitaine s’obstinait à dormir.

Alors, Artimon n’hésitait plus. Il sautait sur le corps de son ami, lui léchait le visage à coups rapides, et même, cette manœuvre étant encore insuffisante, se risquait à lui mordiller une oreille.

Cette fois, le capitaine ouvrit les yeux et reconnut que le rêve était une réalité. D’un bond, il fut sur ses pieds et se dirigea rapidement vers l’entrée de la tente, conduit, tiraillé par Artimon.

Il n’eut pas le loisir de l’atteindre.

Tout à coup, Artimon éclata en furieux aboiements, et, sans avoir eu le temps d’y rien comprendre, le capitaine renversé vit en tombant ses compagnons, réveillés en sursaut, maintenus par une bande de Maures que leurs burnous faisaient dans la nuit ressembler à une nuée de fantômes.