Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/498

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
468
L’AGENCE THOMPSON AND Co.

traduisant son énergie dans la forme particulière à son caractère. Si Piperboom avait faim, Johnson avait soif. Si le clergyman Cooley puisait dans la prière un secours efficace, Baker par contre ne décolérait pas, et ne cessait de mâchonner les plus terrifiantes menaces. Quant à Thompson, l’âme en déroute, il pensait uniquement à la sacoche qui lui avait été subtilisée.

Roger, lui, trouvait encore la force de l’ironie. Placé près de Dolly, il s’acharnait à relever le moral de la jeune fille en la faisant rire, par la contagion d’une gaieté héroïquement simulée.

En premier lieu, abordant son sujet habituel, il avait daubé largement sur l’imprévu de cet invraisemblable voyage. Au fond, rien était-il plus comique que le spectacle de ces gens, partis faire un petit tour à Madère, en train de se transformer en explorateurs du Sahara ? Dolly n’ayant pas paru goûter toute la finesse de ce comique un peu spécial, Roger, piqué au jeu et jurant de faire oublier à la jeune fille les tristesses de la route, était bravement entré dans le vaste champ du calembour. Depuis lors, c’était un feu roulant de coq-à-l’âne, plus ou moins hilarants, de mots plus ou moins bien venus, pour lesquels tout lui était bon, le cheik, les Maures, le Sahara, le ciel et la terre, si bien qu’enfin un frais éclat de rire vint le récompenser de tant d’efforts. Roger conclut alors que tout cela n’était pas sérieux, que le coup de main de ces moricauds, à si faible distance du Sénégal, constituait une folie, que l’on serait délivré le lendemain au plus tard, et que, d’ailleurs, on se délivrerait très bien soi-même au besoin.

Comment Dolly n’aurait-elle pas eu confiance en d’aussi consolantes affirmations ? La situation pouvait-elle être réellement grave, quand Roger plaisantait d’un cœur si léger ! D’ailleurs elle n’avait qu’à regarder sa sœur, pour que ses dernières inquiétudes fussent dissipées.

Alice ne plaisantait pas, elle, car ce n’était pas sa manière, mais sur son visage éclatait la sérénité de son âme. Malgré le départ de la caravane, malgré le temps qui s’écoulait, malgré tout, elle ne doutait pas de la délivrance. Oui, le salut viendrait,