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Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/51

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PREMIER CONTACT.

taine avait-il un ennui, un plaisir, il appelait Artimon, et confiait à sa discrétion éprouvée les réflexions que l’événement suggérait.

Le capitaine, ce matin-là, était gros sans doute de quelque confidence. En effet, M. Bishop à peine quitté, il s’était brusquement arrêté au pied du mal de misaine, et, d’une voix brève, il avait dit :

« Artimon !

Parfaitement dressé à la manœuvre, l’affreux roquet d’un jaune sale, qui le suivait pas à pas, avait été aussitôt se placer devant lui. Puis, s’asseyant posément sur son arrière-train, il avait relevé vers son maître des yeux intelligents, en donnant tous les signes de la plus vive attention.

Mais le capitaine Pip ne s’épancha pas tout de suite. La confidence n’était pas mûre. Un long instant, il demeura immobile, muet, les sourcils froncés, laissant Artimon dans une pénible indécision.

En tous cas, c’est d’un souci, non d’un plaisir bien certainement, qu’il désirait vider son cœur. L’âme sœur ne pouvait s’y tromper, à la moustache hérissée de son ami, au regard fulgurant de ses yeux, dont la colère faisait diverger notablement les prunelles.

Ce regard fulgurant, le capitaine, tout en se pétrissant cruellement le bout du nez, le promena longtemps des bossoirs au couronnement et du couronnement aux bossoirs. Après quoi, ayant craché dans la mer avec violence, il frappa du pied, et, considérant Artimon bien en face, décréta d’une voix courroucée :

— Enfin, c’est de la camelote, tout ça, monsieur !

Artimon baissa la tête d’un air désolé.

— Et s’il nous tombait quelque bon coup de temps ?… Hein, master ?

Le capitaine fit une pause avant de conclure, et se reprit à torturer son nez innocent.

— Ce serait une péripétie, monsieur ! prononça-t-il avec emphase.