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Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/67

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PREMIER CONTACT.

en engloutissant quelque énorme morceau. Complètement remis de ses fureurs, il montrait une face calme et reposée. Évidemment, il avait pris son parti des choses, et, rejetant désormais tout souci, il se nourrissait simplement et formidablement.

Une douzaine de passagers, parmi lesquels Robert, les Lindsay, Roger et Saunders, garnissaient seuls avec ceux-là la vaste table que continuaient à présider Thompson et le capitaine Pip.

Public restreint. Non pas négligeable, cependant, au jugement de Thompson brûlant de reprendre le speech si malencontreusement interrompu.

Mais le sort était contre lui. Au moment où il allait ouvrir la bouche, une voix grinçante s’éleva dans le silence général.

« Steward ! appelait Saunders en repoussant dédaigneusement son assiette, ne pourrait-on avoir deux œufs sur le plat ? Il n’est pas surprenant que nous ayons tant de malades. L’estomac d’un loup de mer ne résisterait pas à cette nourriture ! »

Jugement un peu sévère, vraiment. Le repas, médiocre, avait en somme été passable. Mais qu’importait au systématique mécontent ? Le caractère de Saunders tenait décidément les promesses de son visage. Ainsi que l’apparence permettait de le supposer, on aurait en lui un irréductible grincheux. Agréable nature ! À moins toutefois — mais quelle apparence ? — qu’il eût quelque raison cachée d’en vouloir à Thompson, et qu’il cherchât de parti pris les occasions d’être agressif et de semer la discorde entre l’Administrateur Général et ses administrés. Un rire étouffé courut parmi les convives clairsemés. Thompson seul ne rit pas. Et, s’il devint vert à son tour, le mal de mer à coup sûr n’en était pas responsable !