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occasion d’acheter une île

Pacifique, qui relient le nouveau continent à l’ancien, qu’elles conduisent soit au Japon soit à la Chine, se déroulent toutes dans une zone plus méridionale. Les bâtiments à voile trouveraient des calmes sans fin à la surface de ce Tournant de Fleurieu, et les steamers, qui coupent au plus court, ne pourraient avoir aucun avantage à le traverser. Donc, ni les uns ni les autres ne viennent prendre connaissance de l’île Spencer, qui se dresse là comme le sommet isolé de l’une des montagnes sous-marines du Pacifique. Vraiment, pour un homme voulant fuir les bruits du monde, cherchant la tranquillité dans la solitude, quoi de mieux que cette Islande perdue à quelques centaines de lieues du littoral ! Pour un Robinson volontaire, c’eût été l’idéal du genre ! Seulement, il fallait y mettre le prix.

Et, maintenant, pourquoi les États-Unis voulaient-ils se défaire de cette île ? Était-ce une fantaisie ? Non. Une grande nation ne peut agir par caprice comme un simple particulier. La vérité, la voici : Dans la situation qu’elle occupait, l’île Spencer avait depuis longtemps paru une station absolument inutile. La coloniser eût été sans résultat pratique. Au point de vue militaire, elle n’offrait aucun intérêt, puisqu’elle n’aurait commandé qu’une portion absolument déserte du Pacifique. Au point de vue commercial, même insuffisance, puisque ses produits n’auraient pas payé la valeur du fret, ni à l’aller ni au retour. Y établir une colonie pénitentiaire, elle eût été trop rapprochée du littoral. Enfin l’occuper dans un intérêt quelconque, besogne beaucoup trop dispendieuse. Aussi demeurait-elle déserte depuis un temps immémorial, et le Congrès, composé d’hommes « éminemment pratiques », avait-il résolu de mettre cette île Spencer en adjudication, — à une condition, toutefois, c’est que l’adjudicataire fût un citoyen de la libre Amérique.

Seulement, cette île, on ne voulait pas la donner pour rien. Aussi la mise à prix avait-elle été fixée à onze cent mille dollars. Cette somme, pour une société financière qui eût mis en actions l’achat et l’exploitation de cette propriété, n’aurait été qu’une bagatelle, si l’affaire eût offert quelques avantages ; mais, on ne saurait trop le répéter, elle n’en offrait aucun ; les hommes compétents ne faisaient pas plus cas de ce morceau détaché des États-Unis que d’un îlot perdu dans les glaces du pôle. Toutefois, pour un particulier, la somme ne laissait pas d’être considérable. Il fallait donc être riche, pour se payer cette fantaisie, qui, en aucun cas, ne pouvait rapporter un centième pour cent ! Il fallait même être immensément riche, car l’affaire ne devait se traiter qu’au comptant, « cash », suivant l’expression américaine, et il est cer-