Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
le rayon-vert

comme on l’eût sentie sur une montagne, à quelque mille pieds d’altitude, dans un air raréfié.

Dire avec quelle anxiété tous suivirent les phases de cette journée, c’est impossible. Avec quelle palpitation de cœur ils observaient si quelque nue se levait dans l’espace, il faut renoncer à le rendre. Avec quelles angoisses, même, ils s’attachaient à la trajectoire décrite par le soleil dans sa marche diurne, ce serait témérité de vouloir l’exprimer.

Très heureusement, la brise, légère mais continue, venait de terre. En passant sur ces montagnes de l’est, en glissant à la surface des longues prairies de l’arrière-plan, elle ne devait pas se charger de ces humides molécules que dégagent de vastes étendues d’eau, et qu’apportent, avec le soir, les vents du large.

Mais combien ce jour fut long à passer ! Miss Campbell ne pouvait tenir en place. Bravant l’ardeur caniculaire, elle allait et venait, tandis qu’Olivier Sinclair courait les hauteurs de l’île, afin d’interroger un horizon plus étendu. Les deux oncles en vidèrent toute une tabatière de compte à demi, et Partridge, comme s’il eût été de faction, restait dans l’attitude d’un garde champêtre préposé à la surveillance des plaines célestes.

Il avait été convenu que, ce jour-là, on dînerait à cinq heures, afin d’être en avance au poste d’observation. Le soleil ne devait disparaître qu’à six heures quarante-neuf, et on aurait tout le temps de le suivre jusqu’à son coucher.

« Je crois que nous le tenons, cette fois ! dit le frère Sam, en se frottant les mains.

— Je le crois aussi ! » répondit le frère Sib, qui se livra à la même pantomime.

Cependant, vers trois heures, il y eut une alerte. Un gros flocon de nuage, une ébauche de cumulus, se leva dans l’est, et, poussé par la brise de terre, s’avança vers l’Océan.

Ce fut miss Campbell qui l’aperçut la première. Elle ne put retenir une exclamation de désappointement.

« Il est seul, ce nuage, et nous n’avons rien à craindre, dit l’un des oncles. Il ne tardera pas à se fondre…

— Ou il marchera plus vite que le soleil, répondit Olivier Sinclair, et disparaîtra sous l’horizon avant lui.

— Mais ce nuage n’est-il pas l’avant-coureur d’un banc de brumes ? demanda miss Campbell.