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L’ÉTOILE DU SUD.

s’assura, en un clin d’œil, que tout le bagage du Napolitain avait disparu avec lui.

L’affaire était claire.

Un homme de race blanche n’aurait probablement pas résisté au besoin tout naturel de réveiller Cyprien pour lui communiquer sur l’heure cette nouvelle fort grave. Mais le Chinois était un homme de race jaune et pensait que, lorsqu’il s’agit d’annoncer un malheur, rien ne presse. Il se mit donc tranquillement à faire son café.

« C’est encore assez aimable, à ce coquin, de nous avoir laissé nos provisions ! » se répétait-il.

Le café, bien et dûment passé dans une poche de toile qu’il avait fabriquée à cet effet, Lî en remplit deux coupes, taillées dans la coque d’un œuf d’autruche, qu’il portait habituellement suspendues à sa boutonnière ; puis, il s’approcha de Cyprien qui dormait toujours.

« Voici votre café tout prêt, petit père, » lui dit-il poliment en le touchant à l’épaule.

Cyprien ouvrit un œil, s’étira les membres, sourit au Chinois, se mit sur son séant et avala la liqueur fumante.

Alors, seulement, il remarqua l’absence du Napolitain, dont la place était vide.

« Où est donc Pantalacci ? demanda-t-il.

— Parti, petit père ! répondit Lî du ton le plus naturel, comme s’il se fut agi d’une chose convenue.

— Comment ?… parti ?

— Oui, petit père, avec les trois chevaux ! »

Cyprien se débarrassa de sa couverture et jeta autour de lui un regard qui lui apprit tout.

Mais il avait l’âme trop fière pour rien témoigner de son inquiétude et de son indignation.

« Fort bien, dit-il, mais que ce misérable ne s’imagine pas qu’il aura le dernier mot ! »

Cyprien fit cinq ou six pas de long en large, absorbé dans ses pensées, réfléchissant au parti qu’il convenait de prendre.

« Il faut partir sur l’heure ! dit-il au Chinois. Nous allons laisser ici cette selle, cette bride, tout ce qui serait encombrant ou trop lourd, et n’emporter que les fusils et les vivres qui nous restent ! En marchant bien, nous pouvons aller presque aussi vite, et peut-être prendre des voies plus directes ! »