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AUX CHAMPS DES DIAMANTS.


même cette question s’était dressée devant son esprit, il est probable que, dans ses idées de Parisien et d’ancien élève de l’École polytechnique, il se serait cru plutôt sur la limite de ce qu’on est convenu d’appeler une « mésalliance. »

La verte semonce de Mr. Watkins était un douloureux réveil de ces illusions. Cyprien avait trop de bon sens pour ne pas en apprécier les raisons solides, et trop d’honnêteté pour s’irriter d’une sentence qu’il reconnaissait juste au fond.

Mais le coup n’en était pas moins pénible, et maintenant qu’il lui fallait renoncer à Alice, il s’apercevait tout à coup combien elle lui était devenue chère en moins de trois mois.

Il n’y avait que trois mois, en effet, que Cyprien Méré la connaissait, c’est-à-dire depuis son arrivée en Griqualand.

Que tout cela semblait loin déjà ! Il se voyait atteignant, par une terrible journée de chaleur et de poussière, au terme de son long voyage d’un hémisphère à l’autre.

Débarqué avec son ami Pharamond Barthès, — un ancien camarade de collège qui venait pour la troisième fois chasser pour son plaisir dans l’Afrique australe, Cyprien s’était séparé de lui au Cap. Pharamond Barthès était parti pour le pays des Bassoutos, où il comptait recruter le petit corps de guerriers nègres, dont il devait se faire escorter pendant ses expéditions cynégétiques. Cyprien, lui, avait pris place dans le lourd wagon à quatorze chevaux, qui sert de diligence sur les routes du Veld, et il s’était mis en route pour le Champ des Diamants.

Cinq ou six grandes caisses, — un véritable laboratoire de chimie et de minéralogie dont il aurait bien voulu ne pas se séparer, — formaient le matériel du jeune savant. Mais le coche n’admet que cinquante kilogrammes de bagages par voyageur, et force avait été de confier ces précieuses caisses à une charrette à bœufs, qui devait les amener en Griqualand avec une lenteur toute mérovingienne.

Cette diligence, grand char-à-bancs à douze places, couvert d’une bâche de toile, était montée sur quatre énormes roues, incessamment mouillées par l’eau des rivières qu’elle traverse à gué. Les chevaux, attelés deux par deux et parfois renforcés de mulets, sont conduits avec une grande habileté par une couple de cochers, assis côte à côte sur le siège ; l’un tient les rênes, tandis que son auxiliaire manie un très long fouet de bambou, pareil à une gigantesque canne