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L’AUTRUCHE QUI PARLE.

sortes. Une aile d’outarde rôtie, une tasse d’eau additionnée de cognac, complétèrent ce repas, qui rendit quelque force à Cyprien et acheva de dégager son cerveau des fumées qui l’obscurcissaient.

Une heure environ après ce dîner de convalescence, Pharamond Barthès, ayant convenablement dîné, lui aussi, était assis auprès du jeune ingénieur, et il lui contait comment il s’était trouvé là, tout seul, dans cet étrange équipage.

« Tu sais, lui dit-il, de quoi je suis capable pour tâter d’une chasse nouvelle ! Or, j’ai abattu, depuis six mois, tant d’éléphants, de zèbres, de girafes, de lions et autres pièces de tout poil et de toute plume, — sans oublier un aigle-cannibale qui est l’orgueil de ma collection, — que la fantaisie m’a pris, il y a quelques jours, de varier mes plaisirs cynégétiques ! Jusqu’ici, je ne voyageais qu’escorté de mes Bassoutos, — une trentaine de gaillards résolus, que je paie à raison d’un sachet de grains de verre par mois, et qui se jetteraient au feu pour leur seigneur et maître. Mais j’ai reçu dernièrement l’hospitalité chez Tonaïa, le grand chef de ce pays-ci, et, en vue d’obtenir de lui le droit de chasse sur ses terres, — droit dont il est aussi jaloux qu’un lord écossais, — j’ai consenti à lui prêter mes Bassoutos, avec quatre fusils, pour une expédition qu’il méditait contre un de ses voisins. Cet armement l’a tout simplement rendu invincible, et il a remporté sur son ennemi le triomphe le plus signalé. De là une amitié profonde, scellée par l’échange du sang c’est-à-dire que nous nous sommes mutuellement sucé une piqûre faite à l’avant-bras ! Aussi désormais, entre Tonaïa et moi, c’est à la vie, à la mort ! Certain de ne plus être inquiété désormais dans toute l’étendue de ses possessions, avant hier, je suis parti pour chasser le tigre et l’autruche. En fait de tigre, j’ai eu le plaisir d’en abattre un la nuit dernière, et je serais même surpris que tu n’eusses pas entendu le vacarme qui a préludé à cet exploit. Figure-toi que j’avais planté une tente-abri auprès de la carcasse d’un buffle tué d’hier, dans l’espoir assez fondé de voir arriver au milieu de la nuit le tigre de mes rêves ! En effet, le gaillard n’a pas manqué de venir au rendez-vous attiré par l’odeur de la chair fraîche ; mais le malheur a voulu que deux ou trois cents chacals, hyènes et chats-tigres eussent eu la même idée que lui ! De là, un concert des plus discordants qui a dû arriver jusqu’à toi !

— Je crois bien que je l’ai entendu ! répondit Cyprien. J’ai même cru qu’il se donnait en mon honneur !

— Point du tout, mon brave ami ! s’écria Pharamond Barthès. C’était en