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L’ÉTOILE DU SUD.

Ni Alice ni Cyprien ne pouvaient répondre, du moins à voix haute, mais leurs regards répondaient pour eux.

Le vieillard tendit la main à son adversaire, et Mr. Watkins la saisit avec ardeur.

Tous les yeux des assistants étaient humides, — même ceux d’un vieux constable en cheveux gris, qui semblait pourtant aussi sec qu’un biscuit de l’Amirauté.

Quant à John Watkins, il était réellement transfiguré. Sa physionomie était maintenant aussi bienveillante, aussi douce qu’elle était tout à l’heure dure et méchante. Pour Jacobus Vandergaart, sa face austère avait repris l’expression qui lui était habituelle, celle de la bonté la plus sereine.

« Oublions tout, s’écria-t-il, et buvons au bonheur de ces enfants, — si toutefois monsieur l’officier du shérif veut bien nous le permettre, — avec le vin qu’il a saisi !

— Un officier du shérif a parfois le devoir de s’opposer à la vente des boissons excisables, dit le magistrat en souriant, mais il ne s’est jamais opposé à leur consommation ! »

Sur ces mots prononcés de bonne humeur, les bouteilles circulèrent et la plus franche cordialité reparut dans la salle à manger.

Jacobus Vandergaart, assis à la droite de John Watkins, faisait avec lui des plans d’avenir.

« Nous vendrons tout, et nous suivrons les enfants en Europe ! disait-il. Nous nous établirons près d’eux, à la campagne, et nous aurons encore de beaux jours ! »

Alice et Cyprien, placés côte à côte, s’étaient engagés dans une causerie à voix basse, en français, — causerie qui ne paraissait pas moins intéressante, à en juger par l’animation des deux partenaires.

Il faisait alors plus chaud que jamais. Une chaleur lourde et accablante desséchait les lèvres au bord des verres et transformait tous les convives en autant de machines électriques, prêtes à donner des étincelles. En vain les fenêtres et les portes avaient-elles été laissées ouvertes. Pas le moindre souffle d’air ne faisait vaciller les bougies.

Chacun sentait qu’il n’y avait qu’une solution possible à une pareille pression atmosphérique : c’était un de ces orages, accompagnés de tonnerre et de pluies torrentielles, qui ressemblent, dans l’Afrique australe, à une conjuration de tous les éléments de la nature. Cet orage, on l’attendait, on l’espérait comme un soulagement.