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L’ÉTOILE DU SUD.


sion de tailler, ce sont des demi-poires avec table et culasse, chargées de facettes du côté antérieur.

Le diamant une fois taillé, il restait à le polir pour que le travail fût achevé. Cette opération s’effectuait à l’aide d’une meule, sorte de disque d’acier, d’environ vingt-huit centimètres de diamètre, posé à plat sur la table, et qui tournait sur un pivot sous l’action d’une grande roue et d’une manivelle, à raison de deux à trois mille révolutions par minute. Contre ce disque humecté d’huile et saupoudré de poussière de diamant provenant des tailles précédentes, Jacobus Vandergaart pressait, l’une après l’autre, les faces de sa pierre, jusqu’à ce qu’elles eussent acquis un poli parfait. La manivelle était tournée, tantôt par un petit garçon hottentot qu’il engageait à la journée, lorsque c’était nécessaire, tantôt par un ami comme Cyprien, qui ne se refusait point à lui rendre ce service par pure obligeance.

Tout en travaillant, on causait. Souvent même, Jacobus Vandergaart, remontant ses lunettes sur son front, s’arrêtait court pour conter quelque histoire du temps passé. Il savait tout, en effet, sur cette Afrique australe qu’il habitait depuis quarante ans. Et ce qui donnait tant de charme à sa conversation, c’est précisément parce qu’elle reproduisait la tradition du pays, — tradition toute fraîche encore et toute vivante.

Avant tout, le vieux lapidaire ne tarissait pas sur le sujet de ses griefs patriotiques et personnels. Les Anglais étaient, à son sens, les plus abominables spoliateurs que la terre eût jamais portés. Toutefois, il faut lui laisser la responsabilité de ses opinions, quelque peu exagérées, — et les lui pardonner peut-être.

« Rien d’étonnant, répétait-il volontiers, si les États-Unis d’Amérique se sont déclarés indépendants, comme l’Inde et l’Australie ne tarderont pas à le faire ! Quel peuple voudrait tolérer une tyrannie pareille !… Ah ! monsieur Méré, si le monde savait toutes les injustices que ces Anglais, si fiers de leurs guinées et de leur puissance navale, ont semées sur le globe, il ne resterait pas assez d’outrages dans la langue humaine pour les leur jeter à la face ! »

Cyprien, n’approuvant ni ne désapprouvant, écoutait sans rien répondre.

« Voulez-vous que je vous conte ce qu’ils m’ont fait, à moi qui vous parle ? reprenait Jacobus Vandergaart en s’animant. Écoutez-moi, et vous me direz s’il peut y avoir deux opinions là-dessus ! »

Et Cyprien l’ayant assuré que rien ne lui ferait plus de plaisir, le bonhomme continua de la sorte :