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RENVERSANTS, CES FRANÇAIS!

Il faut dire, en outre, que ce jeune Français parlait anglais dans la perfection, comme s’il eût longtemps vécu dans les comtés les plus britanniques du Royaume-Uni.

Mr. Watkins l’écoutait en fumant une longue pipe, assis dans un fauteuil de bois, la jambe gauche allongée sur un tabouret de paille, le coude au coin d’une table grossière, en face d’une cruche de gin et d’un verre à moitié rempli de cette liqueur alcoolique.

Ce personnage était vêtu d’un pantalon blanc, d’une veste de grosse toile bleue, d’une chemise de flanelle jaunâtre, sans gilet ni cravate. Sous l’immense chapeau de feutre, qui semblait vissé à demeure sur sa tête grise, s’arrondissait un visage rouge et bouffi qu’on aurait pu croire injecté de gelée de groseille. Ce visage, peu attractif, semé par places d’une barbe sèche, couleur de chiendent, était percé de deux petits yeux gris, qui ne respiraient pas précisément la patience et la bonté.

Il faut dire tout de suite, à la décharge de Mr. Watkins, qu’il souffrait terriblement de la goutte, ce qui l’obligeait à tenir son pied gauche emmailloté de linges, et la goutte — pas plus dans l’Afrique méridionale que dans les autres pays — n’est faite pour adoucir le caractère des gens dont elle mord les articulations.

La scène se passait au rez-de-chaussée de la ferme de Mr. Watkins, vers le 29e degré de latitude au sud de l’équateur, et le 22e degré de longitude à l’est du méridien de Paris, sur la frontière occidentale de l’État libre d’Orange, au nord de la colonie britannique du Cap, au centre de l’Afrique australe ou anglo-hollandaise. Ce pays, dont la rive droite du fleuve Orange forme la limite vers les confins méridionaux du grand désert de Kalakari, qui porte sur les vieilles cartes le nom de pays des Griquas, est appelé à plus juste titre, depuis une dizaine d’années, le « Diamonds-Field, » le Champ aux Diamants.

Le parloir, dans lequel avait lieu cette entrevue diplomatique, était aussi remarquable par le luxe déplacé de quelques pièces de l’ameublement que par la pauvreté de certains autres détails de l’intérieur. Le sol, par exemple, était fait de simple terre battue, mais couvert, par endroits, de tapis épais et de fourrures précieuses. Aux murs, que n’avait jamais revêtus un papier de tenture quelconque, étaient accrochées une magnifique pendule en cuivre ciselé, des armes de prix de diverses fabrications, des enluminures anglaises, encadrées dans des bordures splendides. Un sofa de velours s’étalait à côté