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conde tentative. Celle-ci restant aussi vaine que la première, et le bureau du téléphone lui affirmant que l’agence DK ne répondait pas, le contrôleur envoya un garçon du siège voir pourquoi elle était ainsi muette. Avant six heures et demie, ce garçon était de retour. On sut par lui que l’agence était fermée et paraissait déserte.

Le contrôleur, fort étonné que M. Buxton eût terminé ses opérations de si bonne heure, un de ces jours de fin de mois où le personnel est obligé parfois de veiller jusqu’à neuf heures, ne put qu’attendre la voiture de récolement avec une impatience grandissante.

Il l’attendait encore à sept heures et quart, quand une grave nouvelle lui parvint. La voiture avait été trouvée derrière Hyde Park dans une rue peu fréquentée de Kensington, Holland Street, par un employé du siège central qui, sa journée faite, regagnait son domicile. Cet employé, intrigué par le stationnement tardif d’une voiture de la Central Bank dans cette rue relativement obscure et déserte, était monté sur le siège, avait poussé les portes de tôle qui n’étaient pas fermées, et, à la lueur d’une allumette, il avait découvert le corps déjà froid du cocher. Il était alors revenu en courant au siège central, afin de donner l’alarme.

Aussitôt, le téléphone joua dans toutes les directions. Avant huit heures, une escouade de police entourait la voiture abandonnée, tandis que la foule s’amassait devant l’agence DK, dont une autre escouade faisait ouvrir les portes par un serrurier requis à cet effet.

Le lecteur sait déjà ce qu’on devait y trouver.

L’enquête commença sur-le-champ. Par bonheur, aucun des employés de l’agence n’était mort, bien qu’à vrai dire ils n’en valussent guère mieux. Aux trois quarts étouffés par les bâillons, la bouche emplie d’ouate et de chiffon qu’on y avait enfoncés avec violence, ils gisaient évanouis, quand du secours leur arriva, et nul doute qu’ils ne fussent passés de vie à trépas s’ils étaient restés dans cette situation jusqu’au matin.

Lorsque, après une heure de soins, ils eurent repris conscience, ils ne purent donner que des renseignements fort vagues. Cinq hommes barbus, les uns recouverts de longs cache-poussière, les autres de ces pardessus de voyage vulgairement dénommés ulsters, les avaient assaillis et terrassés. Ils n’en savaient pas plus.

Il n’y avait pas à mettre leur sincérité en doute. Dès le début de l’enquête, on avait trouvé, en effet, les cinq manteaux bien en évidence, comme si les malfaiteurs avaient tenu à laisser une trace de leur passage. Au surplus, ces vêtements, examinés avec attention par les plus fins limiers de Scotland Yard, ne révélèrent rien touchant ceux qui les avaient abandonnés. Faits d’étoffes banales et courantes, ils ne portaient aucune marque de tailleur ou de magasin, ce qui expliquait qu’on les eût laissés sur les lieux du crime.

Tout cela n’apprenait pas grand-chose, et pourtant le magistrat enquêteur dut renoncer à en savoir davantage. Vainement il retourna les témoins dans tous les sens. Ils ne varièrent pas, et il fut impossible d’en rien tirer de plus.

Le dernier témoin entendu fut le concierge de l’immeuble. La devanture étant baissée, les malfaiteurs étaient forcément sortis par le vestibule commun à toute la maison. Le concierge avait donc dû les voir.

Celui-ci ne put que confesser son ignorance. Les appartements dont il avait la surveillance étaient trop nombreux pour qu’elle fût réellement efficace. Ce jour-là, il n’avait rien remarqué d’anormal. Si les voleurs étaient passés devant lui, ainsi qu’on devait le supposer en effet, il les avait pris pour les employés de l’agence.

Poussé dans ses derniers retranchements, invité à fouiller dans sa mémoire, il cita les noms de quatre locataires qui avaient traversé le vestibule à peu près à l’heure du crime, ou peu de temps après. Vérification faite séance tenante, ces quatre locataires, d’une honorabilité parfaite, étaient rentrés tout simplement pour dîner.

Le concierge parla aussi d’un garçon charbonnier qui s’était présenté, porteur d’un sac volumineux, vers sept heures et demie, un peu avant l’intervention de la police, et qu’il avait remarqué uniquement pour cette raison qu’il n’est pas d’usage de livrer du charbon à une pareille heure. Ce garçon charbonnier avait demandé un locataire du cinquième, et avec une telle insistance que le concierge avait autorisé la livraison et avait indiqué l’escalier de service.