Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/155

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Toute évasion devait donc être considérée comme impossible. Sans parler de la difficulté d’échapper à la surveillance, dont Harry Killer avait si cruellement prouvé l’efficacité, on ne pouvait même pas songer à sortir du Palais. Passer du bastion sur la terrasse, que sillonnaient incessamment les conseillers, les Merry Fellows de service et des nègres appartenant à la domesticité ou à la Garde noire, n’eût servi de rien, en admettant que ce tour de force fût réalisable. On n’eût pas gagné davantage en s’échappant sur l’esplanade, ceinturée de tous les côtés par des murailles infranchissables. Seule la Red River eût peut-être offert une issue, mais les prisonniers ne possédaient ni bateau, ni même aucun moyen de descendre les trente mètres qui les en séparaient verticalement.

Du haut de la plate-forme, ils pouvaient suivre du regard le cours de cette rivière, qui, vers l’amont et vers l’aval, disparaissait entre deux rangées d’arbres dont la taille commençait à être respectable, bien qu’ils ne fussent plantés que depuis dix ans. À l’exception du jardin public, que leur masquait le reste du Palais, la ville de Blackland se déployait également sous leurs yeux. Ils en voyaient les trois sections séparées par de hautes murailles, les rues semi-circulaires et concentriques, les quartiers de l’Ouest et de l’Est, avec leur population blanche assez clairsemée, et le centre où grouillait, à l’aube, une nombreuse foule de Noirs, avant qu’elle ne s’éparpillât dans la campagne environnante.

Leurs regards plongeaient aussi partiellement dans l’Usine, mais ce qu’ils en apercevaient ne leur donnait que peu d’éclaircissements sur cette seconde ville incluse dans la première, avec laquelle elle semblait n’avoir aucune communication. Quel était l’usage de ces constructions diverses, que surmontait une cheminée d’où ne s’échappait jamais aucun panache de fumée, et une tour identique à celle du Palais, mais surélevée, jusqu’à plus de cent mètres de hauteur par ce pylône inexplicable qu’Amédée Florence avait remarqué au moment de son arrivée ? Que signifiaient ces vastes bâtiments, élevés dans la partie de l’enclos en bordure de la Red River, dont plusieurs étaient recouverts d’une épaisse couche de terre gazonnée ? À quels besoins répondait cette autre partie, la plus grande, qui contenait des jardins maraîchers et fruitiers ? Pourquoi ce revêtement métallique au faîte de la haute muraille formant l’enceinte particulière de cet enclos ? Pourquoi, à sa base, ce large et profond fossé ? Pourquoi même cette muraille, puisque sur les deux côtés que ne bordaient ni la rivière, ni l’esplanade, il en existait une seconde, après laquelle commençait la campagne ? Il semblait qu’on avait voulu à la fois, et doter