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la mission Barsac seraient du moins connues dans leurs plus infimes détails.

Quant à M. Poncin, il ne disait et ne faisait rien, si ce n’est de porter de temps en temps sur son volumineux carnet une de ces annotations cabalistiques par lesquelles Amédée Florence continuait à être fort intrigué.

— Serait-il indiscret, monsieur Poncin, osa-t-il, un beau jour, dire à son silencieux compagnon, de vous demander ce que vous notez avec tant de soin ?

Le visage de M. Poncin s’illumina. Oh ! non, ce n’était pas indiscret. M. Poncin était, au contraire, infiniment flatté que quelqu’un fît attention à ses travaux et en appréciât l’intérêt.

— Pour l’instant, je fais des problèmes, dit-il d’un air important.

— Bah ! fit le reporter.

— Oui, monsieur. Ainsi je viens de résoudre celui-ci : « A a deux fois l’âge que B avait quand A avait l’âge que B a. Quand B aura l’âge que A a, la somme de leurs âges fera N années. Quel est l’âge de A et de B ? » En représentant par x l’âge de A…

— Mais ce n’est pas un problème, votre petite machine, monsieur Poncin ! s’écria Florence. C’est un simple casse-tête de fabrication chinoise ! Et ça vous amuse, cet exercice ?

— Dites que c’est passionnant ! Ce problème-là est même tout particulièrement élégant. Je le résous depuis mon enfance, sans m’en lasser.

— Depuis votre enfance ?… répéta Florence abasourdi.

— Oui, monsieur ! affirma M. Poncin non sans vanité. J’en suis aujourd’hui à ma onze cent quatre-vingt-dix-septième solution, qui me donne, pour A, quatre mille sept cent quatre-vingt-huit ans, et trois mille cinq cent quatre— vingt-onze ans pour B.

— Ce ne sont pas des jeunes gens, fit observer Amédée Florence sans broncher. Mais les onze cent quatre-vingt-seize autres solutions…

— N’étaient pas moins justes. Tous les multiples de 9 satisfaisant à l’équation, le nombre des solutions exactes est infini. Quand je vivrais dix mille ans, je n’en verrai pas le bout. Si, en effet, nous représentons l’âge de A par x, et l’âge de B par y…

— Ah ! non, monsieur Poncin, interrompit Florence épouvanté. Mieux vaut que je vous propose un autre problème qui aura, du moins, pour vous, le mérite de la nouveauté.

— Avec plaisir, répondit M. Poncin, qui, la main armée du crayon, se tint prêt à écrire l’énoncé.

— Trois personnes, dicta Amédée Florence, grandes, l’une de un mètre quatre-vingt-dix, la deuxième, de un mètre soixante-huit, la dernière de vingt-sept centimètres, ont parcouru trois cent trente-deux kilomètres en vingt-huit jours.

Combien de kilomètres parcourront en une seconde huit personnes, dont deux culs-de-jatte, sachant que leur âge moyen est de quarante-cinq ans !

— C’est une règle de trois, dit M. Poncin, dont le front profondément plissé indiquait la réflexion.

— Vous étudierez ça à tête reposée, se hâta de conseiller Amédée Florence. Alors, tout le long du voyage, ce sont des calculs de ce genre que vous avez notés sur ce calepin ?

— Que non pas, monsieur Florence ! protesta M. Poncin d’un air important. Les problèmes ne sont, pour moi, qu’une distraction, un délassement, un jeu de l’esprit. D’ordinaire, je m’occupe de questions plus hautes et plus sérieuses, je vous prie de le croire.

— Oserais-je… ?