Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/177

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riant. Pour quoi faire ?… Je ne pense pas qu’il y en ait une seule ici. Néanmoins, ne vous inquiétez pas, messieurs. Nous disposons d’autres moyens.

— Des moyens capables de lutter contre les canons du Palais ?

— De cela et de bien autre chose encore. S’il me prenait fantaisie de détruire toute la ville, ce serait fait en un instant. Mais je ne pense pas que nous en soyons réduits à cette extrémité. Les canons du Palais resteront muets, soyez-en certains. Outre que Killer connaît mon pouvoir, et que l’Usine est en grande partie construite à l’épreuve du canon, il n’aura garde de la détruire, attendu que toute sa puissance repose sur elle. Il va essayer plutôt d’entrer de vive force. Seulement, il n’y réussira pas.

Comme une réponse à l’affirmation de Camaret, on entendit des coups sourds, qui provenaient de l’étage inférieur.

— Qu’est-ce que je vous disais ? fit l’ingénieur en souriant doucement. Le voilà qui s’attaque à la porte. Mais la mâtine est solide, je vous le garantis.

— S’il braque un canon contre elle, cependant ? interrogea Saint-Bérain que la tranquillité de Camaret ne rassurait qu’à demi.

— Même dans ce cas, il ne serait pas très facile de la forcer, répondit celui-ci. Mais amener sur le quai un canon du palais, cela demande du temps, et nous n’en sommes encore qu’au bélier manœuvré à bras d’hommes. Avec ça, ils frapperaient pendant un siècle sans être plus avancés. D’ailleurs, si vous voulez m’accompagner, vous pourrez assister aux péripéties du siège. Je crois que le spectacle vous intéressera.

On revint à l’atelier de mécanique, qu’on traversa sans s’y arrêter. Les machines tournaient maintenant, mais les ouvriers ne s’occupaient pas de leur travail avec leur zèle habituel. Réunis par groupes, ils commentaient les nouvelles qu’ils avaient apprises, et il régnait dans l’atelier un certain désordre que les événements actuels expliquaient trop aisément et sur lequel Camaret ferma les yeux.

L’atelier traversé, on gravit un escalier tournant et on arriva sur la plate-forme d’une tour, qui n’offrait d’autre différence avec celle du Palais que d’être surmontée de cet inexplicable pylône métallique dont l’extrémité s’élevait à plus de cent mètres dans les airs. Comme la tour du Palais, celle-ci était armée d’un cycloscope logé entre les arêtiers du pylône, et dans lequel Camaret invita ses compagnons à entrer.

— Ce cycloscope, leur expliqua-t-il, n’est pas orienté à cinq kilomètres comme celui que j’ai construit pour Harry Killer. Grâce à une série de miroirs obliques disposés au faîte de la muraille de l’Usine, il nous permet de surveiller ce qui se passe à nos abords immédiats. Vous voyez d’ici la face extérieure de notre mur d’enceinte jusqu’à sa base.

L’esplanade, le quai et le chemin de ronde apparaissaient, en effet, dans ce cycloscope, dont les images, plus petites que celles données par l’instrument du Palais, étaient en revanche beaucoup plus nettes. Dans ses lentilles, on aperçut un grand nombre d’hommes, dont plusieurs portaient des échelles, courant sur toute la périphérie de l’Usine, tandis qu’une trentaine d’autres continuaient à s’épuiser en vains efforts contre la porte.

— Comme je le prévoyais, dit Camaret, ils vont donner l’assaut. C’est maintenant que cela va devenir intéressant.

L’assaut commençait, en effet. Déjà étaient dressées contre le mur plusieurs échelles, auxquelles montaient un grand nombre de Merry Fellows. Parvenus au sommet, quelques-uns y posèrent leurs mains sans défiance. Aussitôt, chargement à vue. À peine ces hommes avaient-ils touché la crête du mur, qu’ils se livrèrent à de