Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/187

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prouve, au surplus, l’efficacité du procédé.

— Encore faut-il avoir des nuages, fit observer le docteur Châtonnay.

— Bien entendu, ou tout au moins une atmosphère suffisamment humide. Mais, des nuages, il en vient nécessairement, un jour ou l’autre. Le problème était de les faire crever ici et non ailleurs. Maintenant que la campagne est cultivée, que les arbres commencent à pousser, un régime de pluies régulières a une tendance à s’établir, et les nuages deviennent de plus en plus fréquents. Dès qu’il en arrive un, je n’ai que ceci à faire, expliqua Camaret, en déplaçant une manette, et aussitôt, des ondes, issues d’une force électromotrice de mille chevaux, vont le bombarder de leurs milliards de vibrations.

— Merveilleux ! s’extasièrent les auditeurs de l’ingénieur.

— En ce moment, sans que vous en ayez la moindre conscience, poursuivit Camaret, que cette revue de ses inventions exaltait progressivement, les ondes s’écoulent par le sommet du pylône et vont se perdre dans l’infini. Mais je leur rêve un autre avenir. Je sens, je sais, je suis certain qu’elles pourraient s’adapter à cent usages divers, qu’il serait possible, par exemple, de correspondre sur toute la surface de la terre, par téléphone ou par télégraphe, sans qu’il soit besoin de fil pour réunir les postes correspondants.

— Sans fil !… s’écrient ses auditeurs.

— Sans fil. Que faudrait-il pour cela ? Peu de chose. Simplement que l’on imaginât un appareil récepteur convenable. Je le cherche, je suis même près du but, mais je ne l’ai pas encore atteint.

— Nous commençons à ne plus comprendre, avoua Barsac.

— Rien n’est plus simple, cependant, affirma Camaret, qui s’excitait de plus en plus. Tenez, voici un appareil Morse, couramment employé dans la télégraphie ordinaire, que j’ai intercalé pour mes expériences dans un circuit particulier. Je n’ai qu’à manœuvrer ces leviers — et, tout en parlant, il les manoeuvrait en effet — pour que le courant traducteur des ondes soit sous la dépendance de ce circuit. Tant que le manipulateur du Morse sera relevé, les ondes hertziennes ne passeront pas. Quand il sera baissé, au contraire, et seulement pendant qu’il le sera, les ondes s’échapperont par le pylône. Toutefois, ce n’est plus vers le ciel qu’il s’agirait de les projeter, mais dans la direction du récepteur supposé, en orientant convenablement le miroir qui les concentre et les réfléchit, si la direction de ce récepteur n’était pas connue, il suffirait de supprimer purement et simplement le miroir, comme je le fais en actionnant cet autre levier. Maintenant, les ondes que j’émettrais se répandraient dans l’espace de tous côtés autour de nous, et je pourrais télégraphier, sûr d’atteindre le récepteur où qu’il soit, s’il existait. Malheureusement, il n’existe pas.

— Télégraphier, dites-vous ?… demanda Jane Buxton. Qu’entendez-vous par là ?

— Ce qu’on entend d’ordinaire. Je n’aurais qu’à manœuvrer le manipulateur à la manière habituelle, en me conformant à l’alphabet Morse bien connu de tous les télégraphistes. Mais un exemple vous fera mieux comprendre. Si le récepteur hypothétique existait, vous vous empresseriez d’en profiter pour sortir de votre situation actuelle, j’imagine ?

— Sans aucun doute, dit Jane.

— Eh bien ! Agissons comme s’il en était ainsi, proposa Camaret en s’asseyant devant l’appareil

Morse. À qui télégraphieriez-vous, dans ce cas ?