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eux sautèrent dans le fossé et portèrent la main sur ces guêpes mortes, qui les terrifiaient si fort quand la vie les animait.

Mais, à peine les avaient-ils touchées, qu’ils donnèrent des signes de malaise. S’en écartant avec effroi, ils s’efforcèrent de sortir du fossé. Aucun d’eux n’eut la force d’y parvenir, et, l’un après l’autre, ils retombèrent inanimés.

— Je ne donnerais pas deux sous de leur peau, dit froidement Marcel Camaret. Vous devez bien penser que j’avais prévu ce qui arrive, et que j’avais pris mes mesures en conséquence. En coupant le courant de la station, Harry Killer a déclenché ipso facto un dispositif grâce auquel des bonbonnes d’acide carbonique liquide ont déversé dans le fossé leur contenu qui est retourné immédiatement à l’état gazeux. Ce gaz, plus lourd que l’air, est resté dans le fossé, et ceux qui s’y trouvent maintenant vont inévitablement périr asphyxiés.

— Pauvres gens ! fit Jane Buxton.

— Tant pis pour eux, déclara Camaret, je ne peux rien pour les sauver. Quant à nos machines, j’avais également pris mes précautions. Depuis ce matin, on se tient prêt à substituer l’air liquide, dont j’ai fait une provision inépuisable, au courant de la station, comme agent moteur des appareils électriques. C’est fait maintenant, et voici les machines qui tournent. Les guêpes vont s’envoler de nouveau.

Les hélices des guêpes étaient, en effet, reparties dans leur giration vertigineuse, et ces engins avaient recommencé leur ronde protectrice, tandis que reculait jusqu’au Palais la foule des Merry Fellows abandonnant ceux des leurs qui gisaient dans le fossé.

Marcel Camaret se retourna vers ses hôtes. Il paraissait nerveux, agité même, d’une manière anormale, et la lueur inquiétante qu’on avait remarquée à plusieurs reprises troublait une fois de plus son regard.

— Nous pouvons dormir tranquilles, ce me semble, dit-il, tout gonflé d’une vanité un peu ingénue.


un appel dans l’espaceVIII


C’est fort tristement que le capitaine Pierre Marcenay avait quitté la mission Barsac, et plus particulièrement celle qu’il ne connaissait que sous le nom de Jane Mornas. Il s’était mis en route, pourtant, sans l’ombre d’une hésitation, et jusqu’à Ségou-Sikoro il avait doublé les étapes, comme il lui était prescrit. Avant tout, le capitaine Marcenay était un soldat, en effet, et c’est peut-être la plus grande beauté du métier militaire que cette abnégation complète de soi et cette obéissance passive qu’il impose, en vue d’un but dont, parfois, on n’a pas une claire conscience, mais au-dessus duquel on sait que plane toujours l’idée de patrie.

Quelle que fût sa hâte, cependant, il lui fallut neuf jours pour abattre les quatre cent cinquante kilomètres qui le séparaient de Ségou-Sikoro, où il n’arriva que le 22 février, à une heure fort avancée de la soirée. Ce fut donc seulement le lendemain matin qu’il put se présenter devant le colonel Sergines, commandant la place, et lui remettre l’ordre du colonel Saint-Auban.

Le colonel Sergines lut cet ordre trois fois de suite avec un étonnement croissant. Il paraissait n’y rien comprendre.

— Quelle drôle de combinaison !… dit-il enfin. Aller chercher des hommes à Sikasso pour les envoyer à Tombouctou !… C’est inimaginable !…

— Vous n’étiez donc pas avisé de notre passage, mon colonel ? demanda le capitaine Marcenay.

— Nullement.

— Le lieutenant qui m’a remis cet ordre,