Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les yeux étaient fixés, comme chaque soir, sur cet angle de la muraille, d’où ce signal devait venir. Sept heures, huit heures, huit heures et demie sonnèrent à l’horloge de l’Usine. On attendait toujours en vain.

Quelques minutes après la demie de huit heures, un frémissement parcourut la foule anxieuse des assiégés. Non, Tongané ne les avait pas abandonnés. Au-dessus de la muraille du quartier noir, le signal venait d’apparaître enfin !

Sans perdre un instant, on agit. Sur l’ordre de Camaret, un bizarre engin fut transporté au sommet de l’échafaudage. C’était un canon, un véritable canon, sans roues ni affût, mais c’était un canon en bois. Dans l’âme de cette bombarde étrange, faite avec le tronc évidé d’un rônier, on introduisit un projectile, qu’un puissant jet d’air comprimé lança silencieusement dans l’espace.

Avec lui, il entraînait une double cordelette d’acier munie d’un crampon, qui, si tout allait bien, s’accrocherait à la crête de la muraille du quartier des esclaves.

Poids du projectile, pression de l’air propulseur, pointage du canon, forme et position du crampon, tout avait été méticuleusement calculé par Camaret, qui ne laissa à personne le soin de manœuvrer sa singulière artillerie.

Silencieusement, le projectile traversa le quai, la rivière, le quartier des Merry Fellows et retomba dans celui des Noirs. Avait-on réussi, et le crampon était-il fixé à la muraille ?

Camaret fit mouvoir prudemment le tambour sur lequel la cordelette d’acier était enroulée. Bientôt, celle-ci se tendit et résista à ses efforts. Oui, la tentative était couronnée de succès. Désormais, un chemin aérien unissait les assiégés aux esclaves.

Par ce chemin, le transport des armes commença aussitôt. Un paquet d’explosifs, d’abord, puis quatre mille couteaux, haches ou piques, furent successivement envoyés. Avant onze heures, l’opération était terminée. Tous quittèrent alors l’échafaudage, et, s’armant au hasard de ce qui leur tombait sous la main, se massèrent derrière la grande porte. Réunis en un groupe compact, les femmes au centre, on se tint prêt à intervenir au moment opportun.

Quelqu’un manquait, pourtant, à ce groupe : une femme, Jane Buxton.

Saint-Bérain, Amédée Florence, Barsac et le docteur Châtonnay crièrent inutilement son nom à tous les échos et la cherchèrent vainement de tous côtés. Ils ne purent la découvrir.

Aidés de plusieurs ouvriers de bonne volonté, ils recommencèrent encore leurs recherches sans plus de succès. L’Usine fut, sans résultat, fouillée de fond en comble.

Il leur fallut enfin se rendre à l’évidence. Jane Buxton avait disparu.


XI

ce qu’il y avait derrière la porte

Jane Buxton était partie, en effet, et de la manière la plus simple. Elle était sortie tout bonnement par la porte, que l’on trouva fermée au pêne, et non plus verrouillée comme auparavant. Renseignements pris, l’homme qui veillait au cycloscope avait vu la jeune fille quitter l’Usine, sans la reconnaître néanmoins. Ses instructions lui prescrivant d’éviter les meurtres qui ne seraient pas absolument nécessaires, il n’avait pas voulu employer l’une des guêpes contre cette unique personne, qui, d’ailleurs, loin de chercher à s’introduire dans l’Usine, en sortait au contraire.

Le rapport du veilleur permit d’établir que Jane, en quittant l’Usine, avait suivi le quai dans la direction de l’amont. Il n’y avait donc aucune illusion à se faire ; Jane Buxton avait mis, sans nul doute possible, à exécution le projet contre lequel on s’était précédemment élevé, et elle était allée follement