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meurs inexplicables, dont Jane comprit le sens tout à coup. Elle se tourna vers son frère.

— Pouvez-vous marcher ? demanda-t-elle.

— J’essaierai, répondit Lewis.

— Venez ! dit-elle.

Tous deux, groupe lamentable, la jeune fille soutenant l’homme épuisé par quatre mois de souffrances, ils sortirent du cachot, suivirent le couloir, arrivèrent dans le vestibule, où le gardien veillait tout à l’heure.

Le gardien avait disparu. Le vestibule était désert maintenant.

Péniblement, ils gravirent l’escalier jusqu’au troisième et dernier palier. Avec la clé dérobée à William Ferney, Jane ouvrit la porte que le palier desservait, et, suivie de Lewis, elle se retrouva dans la même pièce, où, peu auparavant, elle avait laissé, cuvant son ivresse, le monstrueux dément qu’elle ignorait alors être son frère.

Comme le vestibule, cette pièce était vide. Rien n’y était changé depuis qu’elle l’avait quittée. Le fauteuil de William Ferney était toujours derrière la table chargée de bouteilles et de verres, et les neuf autres sièges étaient toujours disposés en une demi-circonférence en face d’elle.

Jane, ayant fait asseoir son frère dont les jambes fléchissaient, eut enfin conscience de l’étrangeté de leur situation. Pourquoi cette solitude et ce silence ? Qu’était devenu leur bourreau ?

Obéissant à une impulsion soudaine, elle osa se séparer de Lewis et s’aventura hardiment dans le Palais, qu’elle sillonna en tous sens.

Elle commença par le rez-de-chaussée, sans en laisser un coin inexploré. En passant devant la porte extérieure, elle put remarquer d’un coup d’oeil que celle-ci était soigneusement fermée. Elle ne vit personne dans ce rez-de-chaussée, dont toutes les portes intérieures étaient grandes ouvertes, ainsi que les aurait laissées la fuite éperdue de ses habitants. Avec un étonnement grandissant, elle parcourut les trois autres étages, et les trouva pareillement déserts. Si incroyable que cela fût, le Palais semblait abandonné.

Les trois étages visités, il ne restait plus que la tour centrale et la terrasse qui la commandait. Au bas de l’escalier conduisant à celle-ci, Jane s’arrêta un instant puis elle s’y engagea et le gravit.

Non, le Palais n’était pas déserté, comme elle aurait pu le croire. Quand elle fut arrivée près du sommet de l’escalier, un bruit de voix lui parvint du dehors. Avec prudence, elle franchit les dernières marches, et, protégée par l’ombre, inspecta des yeux la terrasse, où venait mourir la lumière des projecteurs de l’Usine.

La population entière du Palais y était réunie. Avec un frisson d’horreur, Jane reconnut William Ferney. Elle reconnut aussi les huit conseillers qu’elle avait trouvés en compagnie de celui-ci deux heures auparavant. Plus loin, en deux groupes, quelques hommes de la Garde noire et les neuf domestiques nègres.