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LE PHARE DU BOUT DU MONDE.

que de naufrages se sont produits sur ces côtes, ici murées de falaises à pic, là bordées d’énormes roches contre lesquelles, même par temps calme, la mer se brise avec une incomparable fureur.

L’île était inhabitée, mais peut-être n’eût-elle pas été inhabitable, au moins pendant la belle saison, c’est-à-dire pendant les quatre mois de novembre, de décembre, de janvier et de février, que comprend l’été de cette haute latitude. Des troupeaux eussent même trouvé suffisante nourriture sur les vastes plaines qui s’étendent à l’intérieur, plus particulièrement dans la région située à l’est du Port Parry et comprise entre la pointe Conway et le cap Webster. Lorsque l’épaisse couche de neige a fondu sous les rayons du soleil antarctique, l’herbe apparaît assez verdoyante, et le sol conserve jusqu’à l’hiver une salutaire humidité. Les ruminants, faits à l’habitat des contrées magellaniques, y pourraient prospérer. Mais, les froids venus, il serait nécessaire de ramener les troupeaux aux campagnes plus clémentes, soit de la Patagonie, soit même de la Terre de Feu.

Cependant, on y rencontre à l’état sauvage quelques couples de ces guanaques, sortes de daims de nature très rustique, dont la chair est assez bonne, lorsqu’elle est convenablement rôtie ou grillée. Et, si ces animaux ne meurent pas de faim pendant la longue période hivernale, c’est qu’ils savent trouver sous la neige les racines et les mousses dont leur estomac doit se contenter.

De part et d’autre des plaines s’étendent au centre de l’île, quelques bois déploient leurs maigres ramures et montrent d’éphémères frondaisons plus jaunâtres que verdoyantes. Ce sont principalement des hêtres antarctiques, au tronc haut parfois d’une soixantaine de pieds, dont les branches se ramifient horizontalement, puis des épines-vinettes d’essence très dure, des écorces de Winter, ayant des propriétés analogues à celles de la vanille.