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LA GOËLETTE MAULE.

Inclinée sur bâbord, l’étrave obliquement tournée vers la terre, elle présentait son flanc de tribord au large. Dans cette position, on voyait son pont depuis le gaillard d’avant jusqu’au rouf de l’arrière. Sa mâture était intacte, mât de misaine, grand mât, beaupré, avec leurs agrès, ses voiles à demi carguées, sauf la misaine, le petit cacatois et la flèche qui avaient été serrés.

La veille au soir, lorsque cette goélette fut signalée au large du cap Saint-Barthélemy, elle luttait contre un vent de nord-est assez fort et, sous l’allure du plus près, amures à tribord, elle essayait de gagner l’entrée du détroit de Lemaire. Au moment où Kongre et ses compagnons l’avaient perdue de vue au milieu de l’obscurité, la brise montrait une tendance à mollir et devenait bientôt insuffisante pour assurer à un navire une vitesse appréciable. Il y avait donc lieu d’admettre que, drossée par les courants contre les récifs, elle s’en était trouvée trop rapprochée pour pouvoir regagner le large, lorsque, pendant la nuit, avec sa brusquerie habituelle dans ces parages, le vent avait changé cap pour cap. Le brasseyage des vergues montrait que l’équipage avait fait tous ses efforts pour s’élever au vent. Mais sans doute était-il trop tard, puisque, finalement, la goélette était venue se mettre au plein sur le banc de sable.

En ce qui concernait le capitaine et l’équipage, on en était réduit aux conjectures. Mais, vraisemblablement, en se voyant drossés par le vent et le courant contre une côte dangereuse, hérissée de récifs, ils avaient mis le canot à la mer, ne doutant pas que leur navire n’allât se briser contre les roches et qu’ils ne courussent risque de se perdre jusqu’au dernier. Déplorable inspiration. En restant à bord, le capitaine et ses hommes s’en fussent tirés sains et saufs. Or, il n’était pas douteux qu’ils n’eussent péri, puisque leur canot apparaissait la quille en l’air, à deux milles dans le nord-est, poussé par le vent vers le fond de la baie Franklin.

Se rendre à bord de la goélette, pendant que la mer baissait