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LE PHARE DU BOUT DU MONDE.

également qu’il avait les plus grandes chances de dépister l’aviso. Dès que le jusant ramènerait les eaux de la baie vers la mer, même sans avoir besoin du vent, le Carcante reprendrait sa marche, et, en moins d’une heure, il aurait gagné la pleine mer.

Une fois dehors, Kongre ne s’éloignerait pas vers le large. Il lui suffirait d’une de ces faibles risées, qui ne peuvent manquer de se lever de temps à autre, même par les nuits les plus tranquilles, et du courant portant au sud, pour longer impunément la côte, au milieu de cette nuit très noire. Dès qu’elle aurait doublé la pointe Several, distante au plus de sept à huit milles, la goélette serait abritée par les falaises, et elle n’aurait plus rien à craindre. Le seul danger était d’être aperçu des vigies du Santa-Fé, s’il se tenait au-dessous de la baie, et non à la hauteur du cap San Juan. Assurément, le commandant Lafayate, si le Carcante était signalé à sa sortie de la baie, ne le laisserait pas s’éloigner, ne fût-ce que pour interroger son capitaine au sujet du phare. La vapeur aidant, il aurait rejoint le bâtiment fugitif avant que celui-ci n’eût disparu derrière les hauteurs du sud.

Il était alors plus de neuf heures. Kongre dut se résigner à mouiller pour étaler la marée, en attendant le moment où le jusant se ferait sentir. Mais il s’en fallait de près de six heures. Ce n’est pas avant trois heures du matin que le courant lui redeviendrait favorable. La goélette évita au flot, son étrave tournée vers le large. Le canot avait été rehissé. Kongre, le moment venu, ne perdrait pas une minute pour se remettre en marche.

Soudain l’équipage poussa un cri qu’on eût pu entendre des deux rivages de la baie.

Un long trait de lumière venait de percer les ténèbres. Le feu du phare brillait dans tout son éclat, illuminant la mer au large de l’île.

« Ah ! les coquins ! Ils sont là ! s’écria Carcante.

— À terre ! » ordonna Kongre.