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LA CHASSE AU MÉTÉORE

Quelque réconfort que leur approbation apportât aux deux astronomes, elle ne pouvait remplacer les acclamations enthousiastes de la foule. Toutefois, comme il était matériellement impossible de convaincre tous les passants les uns après les autres, force leur était bien de se contenter du modeste encens d’admirateurs très raréfiés.

Les déboires éprouvés ne diminuaient pas leur ardeur, au contraire. Plus on contestait leurs droits sur le bolide, plus ils s’acharnaient à les revendiquer ; moins on paraissait prendre au sérieux leur prétention, plus chacun d’eux s’obstinait à affirmer sa qualité de propriétaire unique et exclusif.

Dans un tel état d’esprit, une réconciliation eût été impossible. Aussi, n’y songeait-on pas. Loin de là, chaque jour semblait séparer davantage les deux malheureux fiancés.

MM. Forsyth et Hudelson annonçaient hautement leur intention de protester jusqu’à leur dernier souffle contre la spoliation dont ils s’estimaient victimes et d’épuiser tous les degrés de juridiction. On aurait ainsi un merveilleux spectacle ! Mr Forsyth, d’une part, le docteur Hudelson, de l’autre, et, contre eux, le reste du monde. Voilà qui serait un procès grandiose !… si l’on parvenait toutefois à trouver le tribunal compétent.

En attendant, les deux anciens amis transformés en haineux adversaires ne sortaient plus de leurs maisons respectives. Farouches et solitaires, ils passaient leur vie sur la plate-forme de la tour ou sur celle du donjon. De là, il leur était possible de surveiller le météore qui avait ravi leur bon sens et de s’assurer, plusieurs fois par jour, qu’il continuait à tracer sa courbe lumineuse dans les profondeurs du firmament. Ils ne descendaient que rarement de ces hauteurs, où, du moins, ils étaient à l’abri de leur entourage immédiat, dont l’hostilité déclarée ajoutait une amertume aux amertumes dont ils se jugeaient abreuvés.

Francis Gordon, retenu par mille souvenirs d’enfance, n’avait pas abandonné la maison d’Elisabeth street, mais il n’adressait plus la parole à son oncle. On déjeunait, on dînait sans prononcer un seul mot. Mitz elle-même ne desserrant plus les dents et ne donnant plus cours à son éloquence savoureuse, la maison était silencieuse et triste comme un cloître.

Chez le docteur Hudelson, les rapports familiaux n’étaient pas plus agréables. Loo boudait impitoyablement malgré les coups