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via dolorosa.

Banks avait espéré que le colonel se bornerait peut-être à visiter ce bungalow… Mais non ! Sir Edward Munro avait résolu d’épuiser jusqu’à la dernière les amertumes que lui réservait cette ville funeste ! Après l’habitation de lady Munro, il voulut revoir la caserne où tant de victimes, auxquelles l’énergique femme s’était si héroïquement dévouée, avaient subi toutes les horreurs d’un siège.

Cette caserne était située dans la plaine, en dehors de la ville, et l’on bâtissait alors une église sur son emplacement, là où la population de Cawnpore avait dû chercher refuge. Pour nous y rendre, nous suivîmes une route macadamisée, ombragée par de beaux arbres.

C’est là que s’était accompli le premier acte de l’horrible tragédie. Là avaient vécu, souffert, agonisé, lady Munro et sa mère, jusqu’au moment où la capitulation remit aux mains de Nana Sahib cette troupe de victimes, déjà vouées à un épouvantable massacre, et que le traître avait promis de faire conduire saines et sauves à Allahabad.

Autour des constructions inachevées, on distinguait encore des restes de murailles en briques, vestiges de ces travaux de défense qui avaient été élevés par le général Wheeler.[1]

Le colonel Munro resta longtemps immobile et silencieux devant ces ruines. À son souvenir se présentaient plus vivement les affreuses scènes dont elles avaient été le théâtre. Après le bungalow où lady Munro avait vécu heureuse, la caserne dans laquelle elle avait souffert au delà de tout ce qu’on peut imaginer !

Il restait à visiter le Bibi-Ghar, cette demeure dont le Nana fit une prison, où se creusait ce puits au fond duquel les victimes avaient été confondues dans la mort.

Lorsque Banks vit le colonel se diriger de ce côté, il lui saisit le bras comme pour l’arrêter.

Sir Edward Munro le regarda bien en face, et, d’une voix horriblement calme :

  1. Depuis cette époque, l’église commémorative a été achevée. Sur les tablettes de marbre, des inscriptions rappellent la mémoire des ingénieurs du chemin de fer East-Indian, qui moururent de maladie ou de leurs blessures pendant la grande insurrection de 1857, la mémoire des officiers, sergents et soldats du 34e régiment de l’armée royale, tués au combat du 17 novembre devant Cawnpore, du capitaine Stuart Beatson, des officiers, hommes et femmes, du 32e régiment, morts pendant les sièges de Lucknow et de Cawnpore ou pendant, l’insurrection, la mémoire enfin des martyrs du Bibi-Ghar, massacrés en juillet 1857.