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Page:Verne - La Maison à vapeur, Hetzel, 1902.djvu/14

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la maison à vapeur.

chemise de laine rayée, serrée à sa ceinture. Sur sa poitrine apparaissaient en couleurs vives les emblèmes des deux principes conservateur et destructeur de la mythologie indoue, la tête de lion de la quatrième incarnation de Vishnou, les trois yeux et le trident symbolique du farouche Siva.

Cependant, une émotion réelle et bien compréhensible agitait les rues d’Aurungabad, plus particulièrement celles dans lesquelles se pressait la population cosmopolite des bas quartiers. Là, elle fourmillait hors des masures qui lui servent de demeures. Hommes, femmes, enfants, vieillards, Européens ou indigènes, soldats des régiments royaux ou des régiments natifs, mendiants de toutes sortes, paysans des environs, s’abordaient, causaient, gesticulaient, commentaient la notice, supputaient les chances de gagner l’énorme prime promise par le gouvernement. La surexcitation des esprits n’aurait pas été plus vive devant la roue d’une loterie dont le gros lot aurait valu deux mille livres. On peut même ajouter que, cette fois, il n’était personne qui ne pût prendre un bon billet : ce billet, c’était la tête de Dandou-Pant. Il est vrai qu’il fallait être assez chanceux pour rencontrer le nabab, et assez audacieux pour s’emparer de sa personne.

Le faquir, — évidemment le seul entre tous que ne surexcitât pas l’espoir de gagner la prime, — filait au milieu des groupes, s’arrêtant parfois, écoutant ce qui se disait, en homme qui pourrait peut-être en faire son profit. Mais s’il ne se mêlait point aux propos des uns et des autres, si sa bouche restait muette, ses yeux et ses oreilles ne chômaient pas.

« Deux mille livres pour découvrir le nabab ! s’écriait celui-ci, en levant ses mains crochues vers le ciel.

— Non pour le découvrir, répondait celui-là, mais pour le prendre, ce qui est bien différent !

— En effet, ce n’est point un homme à se laisser capturer sans se défendre résolument !

– Mais ne disait-on pas dernièrement qu’il était mort de la fièvre dans les jungles du Népaul ?

— Rien de tout cela n’est vrai ! Le rusé Dandou-Pant a voulu se faire passer pour mort, afin de vivre avec plus de sécurité !

— Le bruit avait même couru qu’il avait été enterré au milieu de son campement sur la frontière !

— Fausses obsèques, pour donner le change ! »

Le faquir n’avait pas sourcillé en entendant affirmer ce dernier fait d’une