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la maison à vapeur.

ment superbe et produit un effet grandiose avec les mille clochetons qui hérissent ses courtines.

Je ne pouvais quitter Lucknow sans visiter le palais Constantin, qui est encore l’œuvre personnelle du caporal français, et porte le nom de palais de la Martinière. Je voulus voir aussi le jardin voisin, le Secunder Bâgh, où furent massacrés par centaines les Cipayes qui avaient violé la tombe de l’humble soldat avant d’abandonner la ville.

Il faut ajouter que le nom de Martin n’est pas le seul nom français qui soit en honneur à Lucknow. Un ancien sous-officier de chasseurs d’Afrique, appelé Duprat, se distingua tellement par sa bravoure pendant la période insurrectionnelle, que les révoltés lui offrirent de se mettre à leur tête. Duprat refusa noblement, malgré les richesses qui lui furent promises, malgré les menaces dont on l’accabla. Il resta fidèle aux Anglais. Mais, particulièrement désigné aux coups des Cipayes qui n’avaient pu faire de lui un traître, il fut tué dans une rencontre : « Chien d’infidèle, avaient dit les révoltés, nous t’aurons malgré toi ! » Ils l’eurent, mort.

Les noms de ces deux soldats français avaient donc été unis dans les mêmes représailles. Les Cipayes, qui avaient violé la tombe de l’un et creusé la tombe de l’autre, furent massacrés sans pitié.

Enfin, après avoir admiré les parcs superbes qui font à cette grande cité de cinq cent mille habitants comme une ceinture de verdure et de fleurs, après avoir parcouru à dos d’éléphant ses rues principales et son magnifique boulevard du Hazrat Gaudj, je repris le railway et revins le soir même à Cawnpore.

Le lendemain, 31 mai, dès l’aube, nous étions en route.

« Enfin, s’écria le capitaine Hod, c’en est donc fini avec les Allahabad, les Cawnpore, les Lucknow et autres villes, dont je me soucie comme d’une cartouche vide !

– Oui, c’est fini, Hod, répondit Banks, et maintenant, nous allons marcher directement vers le nord, de manière à rejoindre presque en droite ligne la base de l’Himalaya.

– Bravo ! reprit le capitaine. Ce que j’appelle l’Inde par excellence, ce ne sont pas les provinces hérissées de villes ou peuplées d’Indous, c’est le pays où vivent en liberté mes amis les éléphants, les lions, les tigres, les panthères, les guépards, les ours, les buffles, les serpents ! Là est la seule partie véritablement habitable de la péninsule ! Vous verrez cela, Maucler, et vous n’aurez pas à regretter les merveilles de la vallée du Gange !