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la maison à vapeur.

lendemain près du gouverneur. L’espoir de se venger du nabab, qui n’avait pas été tendre pour ses prisonniers, joint à l’envie féroce de gagner la prime, en faisait à la fois un aveugle et un sourd.

Aussi n’avait-il aucune conscience du danger que ses imprudents propos lui faisaient courir.

Il ne vit pas le faquir se rapprocher peu à peu de lui.

Mais, soudain, un homme bondit sur lui comme un tigre, un éclair à la main. C’était un rayon de lune qui jouait sur la lame d’un poignard malais.

L’Indou, frappé à la poitrine, tomba lourdement sur le sol.

Cependant, bien que le coup eût été porté d’un bras sûr, le malheureux n’était pas mort. Quelques mots, à demi articulés, s’échappaient de ses lèvres avec un flot de sang.

Le meurtrier se courba sur le sol, saisit sa victime, la souleva, et, mettant son propre visage en pleine lueur lunaire :

« Me reconnais-tu ? dit-il.

— Lui ! » murmura l’Indou.

Et le terrible nom du faquir allait être sa dernière parole, lorsqu’il expira dans un rapide étouffement.

Un instant après, le corps de l’Indou disparaissait dans le courant de la Doudhma, qui ne devait jamais le rendre.

Le faquir attendit que le clapotis des eaux se fût apaisé. Alors, revenant sur ses pas, il retraversa les terrains vagues, puis les quartiers où le vide commençait à se faire, et, d’un pas rapide, il se dirigea vers une des portes de la ville.

Mais cette porte, au moment où il y arrivait, on venait de la fermer. Quelques soldats de l’armée royale occupaient le poste qui en défendait l’entrée. Le faquir ne pouvait plus quitter Aurungabad, ainsi qu’il en avait eu l’intention.

« Il faut pourtant que j’en sorte, et cette nuit même… ou je n’en sortirais plus ! » murmura-t-il.

Il rebroussa donc chemin, il suivit le chemin de ronde, à l’intérieur des murs, et, deux cents pas plus loin, il gravit le talus, de manière à atteindre la partie supérieure du rempart.

La crête, extérieurement, dominait d’une cinquantaine de pieds le niveau du fossé, creusé entre l’escarpe et la contrescarpe. C’était un mur à pic, sans chaînes saillantes ni aspérités propres à fournir un point d’appui. Il semblait